Loxias | Loxias 9 Littératures d'outre-mer: une ou des écritures « créoles » ? 

Hélène Sagols  : 

Raphaël Confiant : un langage entre attachement et liberté

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Mots-clés : Antilles , créole, créolité, diglossie, néologisme, R. Confiant

Texte intégral

Si la langue est bien le fondement de toute littérature, elle n’en devient que plus importante lorsqu’elle concerne la littérature antillaise, empreinte d’une double culture et d’un double langage, créole et français. Pour un auteur martiniquais, en butte à une diglossie avérée, la complexité du choix de l’écriture est d’autant plus difficile qu’elle se double d’une dichotomie entre l’oral et l’écrit. C’est pourtant dans cette langue créole, initialement refusée aux Noirs des Antilles1, ensuite rejetée dans les cales d’un oubli volontaire en faveur de l’acquisition d’une langue française porteuse d’espoir d’une meilleure condition sociale, que Raphaël Confiant a longtemps écrit. Mais, confronté à un lectorat restreint car nécessairement créolophone, l’auteur martiniquais, dans son désir légitime de toucher un public plus large, publie en 1988 son premier roman en français, Le Nègre et l’amiral2, un succès de librairie couronné du prix Antigone.

A la Martinique il est vrai, la littérature romanesque des années quatre-vingts s’affirme grâce à une forme linguistique différente du créole et du français, notamment au travers de l’émergence du concept de la Créolité3 dont Confiant, et ses co-auteurs tenteront de définir l’identité dans leur essai commun : Éloge de la Créolité4. Tirant parti des potentialités offertes par l’ensemble des cultures dont il est issu, Confiant associe une langue française purement classique à la richesse vernaculaire d’une langue créole plus populaire. Avec audace et créativité, il compose et construit alors des œuvres structurées entre réalité pragmatique et inventivité fertile et imagée. Ainsi, à travers l’écriture en français, Confiant transcrit ses particularités linguistiques, culturelles, sociales et même ethniques.

La créativité langagière n’est pourtant pas le seul fait de Confiant. Dès les années 1930, le mouvement de la Négritude5, puis le concept de l’Antillanité6, avaient déjà jugé l’hybridation des deux langues, français et créole, nécessaire et fondamentale pour pouvoir créer, produire et générer un langage propre aux Antillais. Ces revendications en faveur de l’émancipation du créole sont également celles du G.E.R.E.C.7, le groupe d’études de l’Université des Antilles-Guyane, auquel Confiant participe en tant que membre, et lequel, depuis son origine, a pour but, outre le développement du créole écrit, la production d’un vocabulaire innovant. Tout comme le créole, la langue française ne peut alors selon lui, ignorer la nécessité d’élargir, d’intégrer, de retrouver ou de créer de nouvelles entités lexicales, lesquelles, loin de dénaturer une langue de qualité qui reste une base structurelle fondamentale et reconnue, offrent au français un enrichissement et une vitalité judicieux, une complémentarité énergique et rationnelle, inhérents à la diversité des peuples francophones :

Il nous faut donc tout faire en même temps : placer notre écriture dans l’allant des forces progressistes qui s’activent pour notre libération, et ne point délaisser la recherche d’une esthétique neuve sans laquelle il n’est point d’art, encore moins de littérature […] Il nous faut être ancrés au pays, dans ses difficultés, dans ses problèmes, dans sa réalité la plus terre à terre, sans pour autant délaisser les bouillonnements où la modernité actionne le monde.8

Le français se révélant d’une part inapte à exprimer la réalité insulaire et à représenter les sensations de l’écrivain, et le créole, n’étant pas, d’autre part, une langue suffisamment constituée, un nouveau langage, une nouvelle inventivité se sont alors mis en place. Ainsi les créolistes bénéficient-ils à la fois de la langue française, écrite et parlée, et de la conversation, des syntagmes créoles. Ainsi les obstacles linguistiques liés à l’écriture en langue créole sont-ils contournés de même que ceux, plus subjectifs et personnels, relatifs à l’écriture en langue française. En effet, intimement liée à la question identitaire, la langue créole dans laquelle Confiant s’est longtemps exprimé est parlée, comprise et partagée par chaque Antillais qui subit cependant une situation paradoxale où deux langues aux statuts inégaux, le créole et le français, cohabitent. Et pour des auteurs, tel Confiant, le désir de loyauté vis-à-vis de la langue créole s’est heurté à la réalité objective d’un lectorat limité. L’appropriation du français par le créole permet alors la création d’une parlure – plus – conforme à l’identité plurielle et au métissage culturel revendiqués par Confiant et les créolistes. Tout en écrivant en français, l’auteur souhaite aussi faire vivre le créole. Ce métissage linguistique est même revendiqué comme un impératif, indispensable à l’auteur et aux écrivains de la Créolité « afin de pouvoir trouver/construire leur propre langage ».

… la première leçon que nous enseigne l’expérience antillaise est que le français doit être acclimaté aux nouvelles régions où il s’est installé, il doit s’adapter à de nouvelles cultures, à de nouveaux imaginaires. Il doit surtout ne pas résister à un certain métissage avec des langues déjà installées qu’il est journellement amené à côtoyer. Les linguistes qualifient ce phénomène de « nativisation du français » et la racine de ce mot, « naître », renvoie à celle du mot « créole » qui est « créer ». Un nouveau français doit naître, doit se créer, partout où la langue de Molière a trouvé à s’installer. Non pas une langue entièrement différente mais une variété de français qui a sa propre couleur, sa propre odeur, ses propres élans et qui, par ricochet, a vocation à enrichir la langue de l’ancienne métropole.9

Ce besoin, cette « urgence » ne sont toutefois pas une idée nouvelle. L’appropriation et le mixage, le renouvellement de la langue et la création lexicale font partie intégrante du langage et des générations successives de locuteurs.

Bien auparavant, au XVIe siècle, un groupe nommé Brigade avait déjà souhaité définir de nouvelles règles poétiques avec la publication d’un manifeste, rédigé en 1549 par Joachim du Bellay : La Deffense et illustration de la langue françoyse.10 Cette proclamation résumait déjà les intentions du groupe qui devint la future Pléiade, et définissait son objectif : donner à la langue française le lustre et la grandeur de la langue antique, à la fois par l’imitation des Anciens et des Italiens, mais aussi par l’enrichissement de la langue et de son style. Et parmi les différentes orientations du manifeste, la réforme du lexique impliquait la revalorisation des termes dialectaux, des mots issus des techniques diverses, et la création de vocables s’appuyant sur l’imitation des langues grecque et latine.

Destiné à devenir l’acte de fondation de la poésie française, ce manifeste nourrissait aussi, intelligemment et avec une certaine ironie, une réflexion déjà moderne sur l’aspect temporaire de toutes les civilisations. La Pléiade se caractérisait donc par la volonté d’une certaine diversité dans l’inspiration, et par l’exploration de genres divers. Tout en imitant librement les Anciens et en revisitant les mythes antiques, les poètes souhaitaient enrichir leurs œuvres d’influences modernes, mises au service d’une langue renouvelée.

Plus de quinze années avant la rédaction de La Deffense et illustration de la langue françoyse, le « grand illusionniste du verbe » qu’est Rabelais, avait de son côté déjà initié un renouvellement du langage. Avec la publication de Pantagruel en 1532 et de Gargantua en 1534, l’auteur humaniste, au-delà du développement utopique d’une éducation libérée, exposait alors sa volonté de renouveler un langage en toute liberté. Ainsi préconisait-il aussi bien l’étude du Grec, langue ancienne, que la variété langagière, stimulant selon lui l’appétit du savoir. Mais le souvenir le plus flagrant retenu par les contemporains est assurément la profusion lexicale avec laquelle l’auteur avait pris, de toute évidence, plaisir à écrire. Emprunts de langues anciennes, vocabulaire empruntant et exploitant les langages techniques : agriculture, commerce, navigation, médecine, littérature, guerres ou religion, dialectes provinciaux ; l’œuvre de Rabelais, était à la fois novatrice en raison de son style varié et divers, de sa créativité lexicale, et imposante par sa réception ultérieure, malgré la quantité relativement restreinte du nombre de ses ouvrages.

 

A l’instar de Rabelais qui, à la différence d’autres humanistes de son temps, avait fait le choix de s’exprimer en français au lieu d’écrire en latin, et comme les poètes de La Pléiade lesquels, conscients de la nécessité d’enrichir la langue française, trouvaient dans l’imitation des Anciens une possibilité d’intégrer des formes nobles délaissées par le Moyen Age et d’enrichir le vocabulaire, Raphaël Confiant, par l’affirmation de sa créativité langagière, la fantaisie verbale dont il fait preuve a, il est vrai, une démarche qui peut être apparentée à celle de ces auteurs du XVIe siècle. Il n’est cependant pas le seul à revendiquer sa volonté d’affranchissement verbal, d’autres écrivains créolistes, tels Chamoiseau – co-auteur de l’Éloge de la Créolité – ou le Haïtien Frankétienne, bousculant aussi le langage et modelant leur écriture sur un modèle qui pourrait s’apparenter à l’écriture rabelaisienne, avec une abondance de créations lexicales, ou des procédés de création du matériau verbal.

Bien entendu, l’engagement personnel des auteurs franco-créoles comme Raphaël Confiant était d’écrire en créole. Rédiger dans cette langue était pour l’auteur une nécessité, un besoin, une évidence, assumés durant douze années. Cependant, ces écrits ne rencontrant pas un lectorat suffisant, Confiant a fait le choix de s’exprimer en français. Mais, la langue française ne pouvant exprimer ou représenter parfaitement le monde antillais, et le créole n’étant pas suffisamment structuré, un langage, mixte et nouveau, s’est donc constitué. Confiant, comme les défenseurs de la Créolité, a ainsi créé son propre langage en s’appropriant la langue française, sans se départir toutefois de la rhétorique, mais en utilisant ses capacités et ses possibilités séculaires. Ainsi, faute de pouvoir utiliser la langue créole comme langue d’écriture romanesque, l’auteur a « habité » la langue française de façon créole. L’appropriation et le mixage des idiomes lui permettent alors de forger une langue à la fois nouvelle et classique où le traditionnel côtoie l’inédit, et Confiant il est vrai, s’affranchit volontairement d’une contingence lexicale qu’il désire adapter à sa parole mise en écriture.

L’écriture en français est un plaisir, assure Confiant ; l’écriture en créole est un travail, car l’auteur créolophone est obligé de construire son outil, ce que n’a pas à faire l’auteur francophone qui dispose d’un outil patiné par des siècles d’usage. Pour l’écrivain, la langue – française – n’est pas, n’est plus, source de conflits. « Ce n’est déjà plus un butin de guerre, ni une langue adoptive, c’est une deuxième langue maternelle »11. Sa prose littéraire diffuse alors un français modelé par une inventivité aussi libre que maîtrisée. En effet, affirme t-il, en accord avec les co-auteurs de l’Éloge de la Créolité :

Nous nous déclarons Créoles. Nous déclarons que la Créolité est le ciment de notre culture et qu’elle doit régir les fondements de notre antillanité. La Créolité est l’agrégat interactionnel ou transactionnel, des éléments culturels caraïbes, européens, africains, asiatiques, et levantins, que le joug de l’Histoire a réunis sur le même sol […] Notre Histoire est une tresse d’histoires. Nous avons goûté à toutes les langues, à toutes les parlures […] La Créolité, c’est « le monde diffracté mais recomposé » […] Bref, nous fabriquerons une littérature qui ne déroge en rien aux exigences modernes de l’écrit tout en s’enracinant dans les configurations traditionnelles de notre oralité12.

Antérieurement, la guadeloupéenne Simone Schwarz Bart avait déjà illustré une créolisation relativement affirmée dans les années 1970 avec ses romans Pluie et vent sur Télumée Miracle13 ou Ti-Jean L’Horizon14. Cette créolisation littéraire était symptomatique de la situation particulière vécue à cette période, à la fois par les écrivains antillais mais également par les lecteurs français qui ont accueilli favorablement cette nouvelle forme de langage littéraire. S’agissait-il d’une attirance magnétique pour leur propre langue renouvelée, découverte et enrichie au travers du prisme de la Créolité, ou de l’émergence d’une forme de sensibilité conceptuelle et esthétique qui semble avoir été présente en Europe à certaines époques que l’on pourrait qualifier de « baroques » en les liant à la période précédant le classicisme ?

Pour Confiant, les règles fixées par l’Académie, rétive selon lui à toute modification, semblent contraires à l’idée de création et à l’avancée du monde et de sa diversité. Au-delà de l’attachement à la langue, la liberté scripturale et l’inventivité sont présentes dans l’ensemble de son œuvre. La volonté délibérée de Confiant de créer un vocabulaire capable d’exprimer la totalité de ses ressentis semble donc s’inscrire dans une démarche naturelle de l’individu. Son écriture toutefois, intègre presque plus d’ancien français que de créolismes. Et un regard plus détaillé permet de discerner la provenance d’une grande partie de ce lexique dont l’origine trouve ses sources dans l’ancien et le moyen français, comme dans les dialectes provinciaux, montrant à quel point le champ lexical et littéraire français envahit la production littéraire martiniquaise.

Léopold Sédar Senghor présentait le français comme « une langue à vocation universelle », langue séculaire, enseignée et transmise, valorisée et reconnue, rigidifiée également par l’Académie qui contrôlera et évaluera dès le XVIIe siècle toute créativité lexicale et linguistique. Confiant, dans son écriture en langue française, puisera donc avec jubilation dans son lexique pour faire renaître des termes oubliés.

Quatre-vingt-dix pour cent environ en moyenne du lexique des différents dialectes créoles ont été formés à partir du lexique français de façon quasi-certaine15, et le créole, comme le souligne René Depestre est « une langue romane ; par français interposé il vient du latin »16. Le lien entre ces deux variétés linguistiques qui, dans une large mesure partagent, outre des assises grammaticales, un fonds lexical commun, est donc réel.

L’intérêt des écrits de Raphaël Confiant ne semble donc pas se limiter à l’alliance souvent réussie de jonctions syntaxiques ou d’assemblages lexicaux au service d’une imagination plurielle. L’auteur ne cache pas son goût, son penchant même, pour les écrits rabelaisiens et adapte la stratégie de Rabelais à ses romans ancrés dans l’époque moderne. Grâce aux ressources langagières de l’ancien français, l’auteur s’empare du patrimoine lexical médiéval et régional pour enrichir ses textes, réunir des sommes linguistiques diversifiées, s’affranchir des rigidités conventionnelles et inventer un monde esthétique aussi réaliste que fantasmé.

L’inventivité de Confiant peut parfois paraître excessive, même si elle est loin de la démesure ou de certaines outrances rabelaisiennes, mais la diversité des parlures affirme sa volonté d’affranchissement, de liberté, face au conformisme de la langue française à laquelle il est pourtant attaché. Bien sûr, l’écriture se mêle à l’oralité, le français le plus conventionnel au créole le plus commun, le lexique le plus académique aux néologismes les plus surprenants. Et la passion de nommer, de raconter va de pair chez Confiant avec son effervescence langagière.

Ainsi peut-on trouver certains termes dont l’origine remonte aux XIIe, XIIIe, et XIVe siècles : enroidir, enfançon, noireté, ribauderie, dévalée, truandaille, ou aux XVIe, XVIIe, voire XVIIIe siècles : accouardir, besogner, cousinage, assommeiller, craniométrie, courtisanerie. D’autres sont issus des dialectes des provinces françaises : corporance, désagrémenter, membrature, mais aussi racontage (langue d’Oïl), chiquenauder (Provence), califourchonner (Bretagne), ou étrangères : écolage (Suisse), entièreté, méconduite, réciproquer (Belgique), braquemart (origine néerlandaise17), tambourinaire, cadeauter, enceinter (origine africaine). D’autres correspondent à des termes spécifiques à certains métiers, souvent marins : désamarrer, désemparement, embauchée, mais aussi liés à la fabrication du rhum : usinier, purgerie.

 Au mélange des langues s’ajoute le mélange des registres de langues. Confiant fait autant appel à un vocabulaire populaire : s’accointer, bavasser, bistrotier, disputaillerie, esbrouffeur, jaserie, valetaille, que plus rare et cultivé : aïeuls, courroucer, chambrière, désamour, diaprure, mésestime, vastitude, oublieux. Il n’hésite donc pas à revisiter et faire renaître des mots endormis ou oubliés dans des encyclopédies antérieures à notre époque contemporaine. Et sous couvert d’explications relatives à la langue créole, le lecteur peut trouver au cœur des récits des précisions linguistiques sur l’utilisation de certains termes. Ainsi, dans son roman L’Allée des soupirs :

Je m’y connais un peu en matière de langues et je vous assure que la vôtre est… comment dirais-je… succulente. Elle a conservé précieusement tout un lot de vieux mots français des 16e et 17e siècles : « bréhaigne », « hallier », « falle », « bailler », « fiole » sans compter les parlures normandes qui y foisonnent. Mélangez-moi ça avec des sonorités et des formes africaines et vous obtenez cet élixir verbal qu’est le créole18.

D’autres indications confirment et légitiment l’utilisation précise de certains mots.

On ployait sous la rigoladerie et ces couillons-là n’ont rien trouvé de mieux que de se gausser de notre façon de parler le français. Tu sais combien nous, les Martiniquais, sommes chatouilleux sur ce point, vu qu’on le parle depuis trois siècles et eux, les Blancs algériens depuis hier seulement […] Un jour, même Romule Casoar, le journaliste prétentieux avait dû leur rabattre le caquet bien qu’il fût le bon zigue de certains d’entre eux. « Messieurs, avait-il écrit, sachez que ces mots qui soi-disant écorchent vos douces oreilles : « couillon, capon, se gourmer […] proviennent du pur terroir français. De Normandie, de l’Anjou, du Poitou… 19

Des commentaires explicatifs justifiant la profusion lexicale sont donc également mis en avant. Uni au corps même du récit, le mélange des tons s’exprime et se traduit ici librement par un choix verbal (se gausser) et une conjugaison (qu’il fût, imparfait du subjonctif) des plus classiques, mêlés à un vocabulaire (couillon, bon zigue) des plus familiers.

Il fallait à tout prix dérisionner l’habitude qu’avait Chartier de parler comme un perroquet-répéteur. Un soir plein de fraîcheur, on se réunit donc Place de l’Abbé Grégoire et l’on mit son intelligence en commun afin de le sobriqueter. Chacun eut son mot à proposer que l’on examina avec le plus grand soin [..] jaspineur […] hâbleur […] baragouineur […] bavardeur […] paroleur […] jargonneur […] jacoteur […] bagoulard […] brimborioneur […] plaidoyeur […] et puis clapotier, caquetier, et des mots par grappes, des dévalaisons de mots à dormir dehors – car le Martiniquais est un grand fabriqueur de mots, oui !20

L’écriture de Confiant dépend bien d’un langage volontairement mis en liberté. Mais, malgré les apparences, l’intention et la réflexion ne sont jamais occultées. Rarement explicitée mais pourtant intégrée au cœur même de l’identité des personnages, l’insertion de références historiques, voire mythologiques est présente. Ainsi des personnages se réunissent-ils dans le roman L’Allée des soupirs, « Place de l’Abbé Grégoire »21, afin de trouver et d’inventer des mots pour se moquer d’un Blanc, en guerre selon eux, contre un instituteur mulâtre quant à la manière de parler le français. Comme certains noms de lieux, un grand nombre de prénoms de personnages font référence à l’Histoire, révélant des traits de caractère, ou imprégnant un destin à celui qui le porte. Ainsi Philomène22 la prostituée au grand cœur, personnage récurrent, signifie-t-elle « aimée » en grec, au sens passif, quand Romule Beausoleil23, combattant de damier24, dont le prénom d’origine grecque signifie « force », meurt assassiné dans la nuit du Samedi-Gloria comme le saint martyr homonyme25. Amédée26, de son côté, dont le nom vient du latin « aimé de Dieu » est adoré par Philomène, tandis que le commandeur Firmin27 possède la fermeté et les convictions à l’origine de son prénom également latin. Rigobert28, autre personnage récurrent, est à sa façon un « fier à bras » brillant et illustre comme son homonyme germanique, quand Doriane29 est représentée par son amant comme « un don de dieu », définition même de son prénom d’origine grecque.

La créativité de Confiant n’est pas surprenante. Les termes inventés ou réinventés, conçus et produits, renouvelés ou transformés permettent d’habiter et de colorer un texte qui peut être lu, mais surtout vécu par le lecteur, même non créolophone. Il est toutefois surprenant et paradoxal de constater que les termes dont la compréhension s’avère la plus difficile pour le lecteur métropolitain moderne, sont des mots issus du patrimoine français du Moyen Âge ou des XVIe et XVIIe siècles, contrairement aux néologismes par suffixation ou au français dit « banane » dont l’expression, généralement très imagée, facilite l’interprétation.

Les mots anciens, repris et rendus dans leur authenticité sémantique côtoient librement et parfois avec insolence des termes retrouvés, ébranlés par une adaptation audacieuse, ou de réels néologismes dont le choix peut, il est vrai, être parfois discutable. L’utilisation souvent intensive de préfixes ou de suffixes permet une vaste création lexicale dont l’ampleur n’est pas toujours synonyme de variété ou de nécessité. Pour autant, les créations de Confiant sont le plus souvent non seulement acceptables, mais elles permettent à l’auteur d’exprimer une déviance en s’affranchissant d’un usage trop rigide de la langue française, comme elles offrent au lecteur la possibilité de ressentir le plaisir de l’écrivain et cette forme de bavarde jubilation qui colore ses écrits malgré la rudesse fréquente du contenu exposé.

La quantité de termes utilisée par Confiant démontre également l’ampleur de l’abondance lexicale dans son écriture. Un recensement30, non exhaustif, peut témoigner de la richesse du vocabulaire de Confiant, qui emprunte à tous les langages. Familier : s’acagnarder, canaillerie, coquiner, clinquaille, curaille, gueusaille, technique ou commercial : réfectionner, déchiffrement, débanquer, désachanlander, agricole : feuillir, froidure, semailler, médical : désauvager, apothicairerie, maritime : échouage, affraîchir, accorer/accorage anguiller, religieux : prêtraille, processionner, compassionner, sacrificateur, ou littéraire : écriveuse, professeuse, verbiager, comme aux langues étrangères et aux dialectes provinciaux oubliés : venvole, taiseur, ribaudaille, enceinter

Quant à l’invention verbale, Confiant forge, déforme et crée un lexique d’une extraordinaire fécondité. Il reprend aussi et fait sienne une partie du lexique rabelaisien : ahan, anathémisé, babouinerie, barytoniser, bénévolence, empantouflé, génitoires, maléficier, tambourinée, dans ses romans où des protagonistes populaires comme les sorbonagres ou les sorbonicoles, dans le réel ou en songeailles tiennent des propos cochonniers, osent des menteries sur leurs braquemarts, et se débraguettent dans l’intention de fretinfretailler avec des femmes qui s’enjuponnent.

A partir d’une racine lexicale, française mais aussi créole, Confiant modèle, sculpte et patine chaque terme pour en produire un plus grand nombre. Les mots français accorer et accorage entraînent chez lui la création d’accoreur, comme la maudition, ceux de maudissement ou mauditionner. Les termes créoles boissonner et boissonnier permettent à l’écrivain la création de boissonnement et boissonneur et celui de crasserie engendre le néologisme crassitude, de même que dérespecter génère l’invention du terme dérespectation. Bien évidemment, cette profusion créatrice, si elle engendre un authentique enrichissement lexical – même s’il n’est pas reconnu – produit parfois des créations moins heureuses et moins nécessaires, comme le néologisme serpillothérapeuthe, ou des termes « doublés » dont l’utilisation ne paraît pas indispensable : dormailler, dormasser.

Il est un fait avéré que le créole, langue orale, dispose de moyens nettement plus réduits que le français quant à son écriture et son lexique. Dans un tel cadre, la création littéraire s’avère difficile. La réalité qui doit être exprimée est toujours multiple, mobile, et implique l’adaptation aux inévitables changements lexicaux d’une langue, qu’ils soient enrichissants ou appauvrissants. Inexorablement, tout langage, s’il ne disparaît pas, évolue, les modifications – immanquables – permettant d’assurer la continuité de la communication entre les générations de locuteurs d’une communauté. Confiant pour sa part ne se présente pas comme un créateur néologique. Si l’Éloge de la Créolité affirme que « l’écrivain est un renifleur d’existence », il est précisé que « plus que tout autre, il a vocation d’identifier ce qui, dans notre quotidien, détermine les comportements et structure l’imaginaire »31. La complémentarité linguistique semble donc toutefois une nécessité pour exprimer le réel antillais vécu et ressenti, et retranscrire l’inévitable compromis entre l’expérience des sensations primaires et leur transcription dans le langage. Chez certains se manifeste le besoin de recourir à un vocabulaire supplétif de celui qui existe. Chez d’autres, la création d’un terme nouveau est souvent liée à un manque qui réside dans l’absence de concordance entre un vocabulaire existant dans le lexique et un contenu à exprimer. La création néologique n’est donc pas exceptionnelle mais chez Raphaël Confiant, la quantité des termes, rares, inusités ou insolites est considérable dans l’ensemble de son œuvre.

Comme il paraît manifestement impossible de recenser la totalité des mots – et de leurs emplois ! – ayant existé au cours de l’histoire de la langue, – un recensement diachronique ne pouvant être exhaustif –, il est particulièrement difficile d’affirmer de façon certaine et péremptoire que l’utilisation d’un vocabulaire inattendu est à considérer comme une création néologique. Cependant, des termes originaux et récurrents, créés à partir de mots créoles ou français, parsèment l’ensemble des œuvres de Confiant. L’auteur utilise surtout la dérivation du français comme procédé de formation des termes, en ajoutant un, voire deux affixes : macaque/rie, vieillard/erie, dés/ennuager, voltige/age, in/consolation, in/consolab/ilité dé/plébéi/sation. Ce procédé de création apparaît fréquemment et les termes peuvent alors relever de la néologie. Le lexique de Confiant relève de composantes appartenant au créole et – ou – au français, réunies dans ce système linguistique.

Bien évidemment, les formes néologiques qui procèdent de la volonté délibérée d’un locuteur de créer un mot qui lui soit propre, par opposition à une forme linguistique existant déjà dans le lexique, relèvent de la fantaisie verbale. Mais tout écrivain est en lui-même un créateur linguistique éventuel : c’est un droit que lui reconnaissait Vaugelas lui-même.

Ainsi peut-on trouver des termes inventés, dérivés de mots créoles : coqueur, macaquerie, crassitude, drivailleur, ou même djobailler. Qu’ils soient ou non d’origine créole, l’auteur les francise par la morphologie en utilisant les suffixes -eur, -rie, -ude, ou -ailler par exemple.

Les images et l’expérience antillaise sont appuyées par l’emploi d’exclamations et d’onomatopées : Hon ! Tchip ! Blip ! Flap-flap, francisées par leur fonction dans la phrase et parfois librement substantivées : le platatac ou le clo-co-toc des carrioles, mais aussi le gliginding ou le bligidip.

Dans les ouvrages de l’auteur, les rimes en -eur ou homéotéleuthes, introduites dans une proposition par un ensemble de néologismes construits à l’aide du suffixe en -eur, permettent de pointer de manière fantaisiste mais non dénuée d’une certaine connotation péjorative, l’aspect peu spécialisé du travail diversifié, mais non professionnel de certains personnages : réparateur-cloueur-raboteur-maçonneur-peintureur.

Chez Confiant, les créations, la résurgence de termes anciens, comme les néologismes, qui correspondent à diverses catégories de langues, permettent pour un certain nombre une pluralité d’emploi. Certains termes, relatifs à la banalité d’une existence humaine permettent, donc, grâce à l’utilisation d’affixes, qu’il s’agisse de préfixes ou de suffixes – parfois des deux – mais également de suffixes superlatifs supplétifs (-asse,-aille), de transmettre de manière plus précise le sentiment que l’auteur cherche à communiquer au lecteur.

Certains substantifs deviennent verbes : assauter, autrucher, débagager, camarader, intérimer, doléancer, dulciner, ou même adverbes : matamoresquement, provocativement, mais aussi adjectifs : civilisationnel, concubinal, courrouçable, grisailleux.

Des adjectifs deviennent librement adverbes : gentillement, longvillant, usagément, substantifs : grotesquerie, hautaineté, illusoireté, jalouseté, ou verbes : permanentiser, propreter.

Certains adverbes se transforment en noms : glorieuseté, de même que des adjectifs : ablanchie, abrunie, affreuseté, amicalité, délicieuseté, fainéantiseur, et des termes habituellement masculins osent le genre féminin : agresseuse, célibatrice, tandis que des préfixes de négation engendrent aussi des termes nouveaux : désangoisser, déquiétude, dérespectation, incoutumière, indisable.

Sous un aspect qui peut surprendre, voire déconcerter, l’appropriation de la langue, qu’elle soit créole ou française, mais aussi parfois – quoique bien plus rarement – anglaise ou espagnole, indienne ou arabe, semble pour Raphaël Confiant naturelle et enrichissante, supplétive, évidente même, nécessairement complémentaire pour exprimer le réel et l’imaginaire des diversités antillaises. Dans cette langue plurielle, académique et imagée, classique et populaire, aux accents français et créoles, les situations comme les personnages expriment alors leur pluralité et leurs particularités, imprimant aux récits l’expression d’une multitude d’humanités insulaires.

Les conventions de signes orthographiques ne sont toutefois pas toujours respectées chez Confiant. Les néologismes de l’auteur ne correspondent pas plus à l’écriture du G.E.R.E.C. qu’à celle de son récent Dictionnaire des néologismes créoles32. Ainsi, le terme kouli, qui représente en langue créole les personnes d’origine indienne aux Antilles françaises, est toujours écrit couli par Confiant et accordé, en fonction de sa position dans la proposition dans laquelle il se trouve. Il en est de même pour la plupart des néologismes créoles, francisés par l’orthographe dans les romans de l’auteur. Ainsi des termes créoles tels anchouké, balivernaj, sériézité, hayisans ou bravté deviennent-ils : enchouquer, balivernage, sérieusité, haïssance ou braveté dans ses récits écrits en français. Les fantaisies orthographiques – même si Confiant n’est pas le seul auteur à procéder de la sorte, de telles initiatives étant repérables chez d’autres écrivains (Chamoiseau, Glissant…) –, semblent donc relever d’un choix d’affranchissement volontaire et délibéré, qui tend à la fois à la « créolisation » et à la francisation de bien des termes. Et selon les œuvres, certains mots sont même écrits avec ou sans majuscule, en un, deux, voire trois mots : Bondieu, bondieu, ou Bon Dieu, grand-diseur ou grandiseur, radio-bois-patate ou radio-bois-patate ou radio-Bois-patate ou encore radio bois-patate. Certains éludent une voyelle : bouleversade ou boulversade, geingeoler ou geingôler, quand d’autres doublent des consonnes : couillonade ou couillonnade, chienaille ou chiennaille, innumérable ou inumérable, caponerie ou caponnerie, violoneur ou violonneur, quand d’autres encore en suppriment : djob ou job. La plus grande liberté est toutefois prise avec le terme et cetera/ et caetera que Confiant orthographie également suivant ses récits : ET coetera, Etcétéra, Et cetera ou etcetera. Quant à certaines expressions nécessitant l’emploi – ou pas – de tirets, l’auteur déploie alors une multiplicité de possibilités orthographiques avec une liberté et une légèreté discutables : Deux-francs-quatre-sous ou deux-francs et quatre sous ou deux francs et quatre sous ou Deux-francs-et-quatre-sous ou Deux francs quatre sous.

Enfin l’écriture du nom de certains personnages est aussi librement et volontairement modifiée, comme en témoigne l’orthographe du personnage Syparis dans le roman Nuée ardente33, seul survivant à Saint Pierre en 1902 lors de l’éruption de la montagne Pelée et dont l’histoire est similaire à celle du véritable Louis Cyparis, miraculé lors de cette catastrophe à la Martinique. Madame Sina, le personnage de boutiquière dans Le Nègre et l’amiral est de son côté appelé et orthographié Man Cinna dans Le Meurtre du Samedi-Gloria, Chimères d’En-Ville ou Mamzelle Libellule.

Quant aux compositions, même si elles ne sont pas spécifiques à l’écriture de Confiant et correspondent au processus de création lexicale le plus important en créole, elles sont également fréquentes : vieux corps, petites bandes, chien fer, femme matador.

La volonté de déviance par rapport à la langue française se manifeste chez Confiant de manière encore plus nette dans le choix fait par l’auteur de termes ayant un équivalent français à la place de ces mots français. Ainsi, des mots créoles tels que coquer, cycloner, douciner, sont francisés par la syntaxe, et leur place dans la phrase se situe et se francise en présence d’éléments grammaticaux français.

L’accroissement lexical est aussi chez Confiant inhérent à l’utilisation fréquente et récurrente de préfixes dans ses néologismes : -  : déconfort, - en : entafiaté, envieuseté, - in : inconsolabilité, imprécautionneux, intranquillité.

L’abondante quantité de suffixes utilisée amplifie également le nombre de termes déviés de leur morphologie : - able : inumérable, inidentifiable, insouffrable, - ade : chavirade, cravachade, - age : coquinage, marrainage, mendiannage- aille : badaudaille, toufailleal : concubinal, - ance : affriolance, chatoyance, ennuyance - ante : tambourinante - ard : disputard, farfouillard, - asse : créolasse, - ation : chagrination, comportation, dévergondation, - ement : égraphignement, émotionnement, dénantissement, - ence : bénéficence, grandipotence, - erie : bêtiserie, brigandagerie, - esque : géantesque, maréchalesque, - eté : affreuseté, audaceté, insolenceté, - eur : dévergondeur, bêtiseur, contempleur, audienceur - ière : badaudière, foutinièr(e), lecturière, -ise : couillontise, malfeintise, saoulardise, - isme : racialisme, ité : dangeureusité, complosité, - logue : blaguologue, - oire : divagatoire, fornicatoire, mouscoutoire, - otte : chabinotte, - tique : automobilistique, - tude : aigritude, craintitude, esclavitude, - ure : grinçure.

Bien des termes sont également ornés de deux affixes, un préfixe et un suffixe : débagagement, dévergondation, démantibulement, (s’) enmaladir, mais aussi d’un préfixe et d’une terminaison verbale : débagager, décaleconner, défâcherie, démaisonner, déregarder.

Des substantifs sont quant à eux transformés en verbes : braguetter, circonvolutionner, équationner, expériencer, exutoirer, suspicionner et certains verbes métamorphosés en noms : une déshonorance.

L’explosion lexicale de Confiant s’apparente aussi en partie aux écrits de Rabelais avec la présence de l’oralité : biberonneur, boit-sans-soif, des nécessités du corps : pisser, cacarelle, et du sexe : braquemarder, coucoune, coquer. Les événements corporels portent d’ailleurs parfois les traces du grotesque rabelaisien avec, dans la plupart des récits des personnages féminins enceintes gros-boudin ou des buveurs de rhum présentés comme des grangousiers.

Les insultes utilisées aux Antilles sont parfois considérées comme du créole ou du fransé bannann (français banane), du français en quelque sorte fautif, produit de l’insécurité linguistique d’un locuteur mais considéré comme une sorte de français créolisé ou du moins une version francisée par l’acte littéraire, même si leur existence lexicale n’est pas « académiquement » attestée. Un « français banane » qui selon les auteurs de l’Éloge de la Créolité « est au français standard ce que le latin macaronique est au latin classique »34, qui n’exprime pas systématiquement des insultes : balivernage, baliverneur, bâtimenter, frissonnade, mais qui s’est adapté aux habitudes langagières de la communauté créole. Ainsi, emmerdation et son dérivé emmerdationner, salopé et salopeté, souvent considérés comme des néologismes, sont des insultes employées et connues comme relevant respectivement du français banane et du créole parlé.

Confiant s’aligne cependant sur une syntaxe qu’il ne malmène que fort peu, même s’il prend quelques libertés avec certaines règles syntaxiques : débâillonner les dents, dérailler son esprit, folle dans la calebasse de sa tête. Contrairement au vocabulaire, la syntaxe, produit du travail inconscient de plusieurs générations a quelque chose d’impersonnel. Le lexique d’une langue n’étant jamais complet, un écrivain peut créer des mots, en faire accepter, mais établir de nouvelles règles est autrement plus difficile. Et Confiant, malgré son affirmation « Nous sommes les premiers à vraiment bouleverser le français »35, ne semble pas ressentir le besoin d’ébranler avec l’hardiesse qu’il sait pourtant montrer, une syntaxe qui lui permet de s’exprimer. Ainsi il ne s’agit peut-être pas tant d’une volonté délibérée de bousculer un ordre établi, que d’octroyer à certains mots de son lexique, diverses possibilités de signification qui amplifient et multiplient leurs définitions premières.

Raphaël Confiant n’hésite donc pas à revisiter et faire renaître des mots endormis ou oubliés. L’appropriation du français lui permet de composer un lexique dont le système linguistique est à la fois proche et différent du français, comme du créole. Face à cette créativité lexicale, généralement créole par le sens, le lecteur semble percevoir une langue vernaculaire qu’il ne possède pourtant généralement pas. Mais l’attachement de l’auteur à la langue française est bien visible, presque palpable. La connaissance des exigences du français est donc évidente chez Raphaël Confiant même s’il revendique le droit à une utilisation libre et diversifiée d’un lexique qu’il souhaite à l’image de la diversité culturelle prônée dans l’Éloge de la Créolité. Le jeu des mots, l’esthétique de la construction et la liberté syntaxique ne peuvent en effet se forger que sur une connaissance profonde et solide de la langue modelée. Et si Confiant manifeste sa Créolité à travers sa manière d’utiliser le français, s’il permet au créole d’habiter ce même français, il traduit sa langue créole dans une langue française, maîtrisée et enrichie.

Le créole étant issu en très grande partie du français, doit-on en conclure hâtivement que l’écriture créolisée de Confiant reste en réalité une écriture d’origine franco-française ? Une telle affirmation serait aussi prématurée qu’inexacte. Le français classique sert bien de base et de fondement sémantique et syntaxique à l’auteur, mais l’esthétisme de son écriture doit beaucoup à l’inventivité dont il sait faire preuve, inventivité soutenue par une assise classique et un respect des lois de la rhétorique française.

 

Issu d’un univers singulier historiquement et culturellement, vivant une situation de diglossie dans son pays, Raphaël Confiant, s’il veut témoigner « à la fois de la Créolité et de l’humaine condition »36 est condamné à trouver son propre langage. Pour autant, l’écart entre la langue dite maternelle et la langue dite coloniale n’est pas aussi rigide que l’on serait tenté d’imaginer. Les esclaves déjà s’étaient emparés de la langue en constituant le créole. Et Confiant affirme et revendique sa Créolité, cette identité culturelle commune, qui peut aussi bien s’exprimer dans un français académique que dans une langue métropolitaine « habitée » par l’expression antillaise.

D’aucuns diront que l’écriture de Confiant est due à son caractère de chabin acariâtre et que l’on doit toujours à ce caractère l’acidité de ses textes riches, emplis d’humour, de force, mais aussi de grande détresse et de pudique poésie. Rien n’est figé, défini ou fixé pour l’éternité, pense Confiant37. Et si cette utilisation artistique des éléments scripturaux, cette inventivité littéraire, issues de cultures, de pensées et de races diversifiées semblent en adéquation avec ses pensées et ses exigences de multiplicité, de « multiculturalité », elles participent également au charme de l’écriture et au développement comme à la richesse des littératures francophones. A travers un langage empreint d’une réelle volonté d’affranchissement et de liberté linguistique, Raphaël Confiant témoigne parallèlement de son attachement intense à la langue française. Ecartelé entre deux langues en situation inégales, Confiant, s’il affirme sa volonté d’affranchissement, témoigne également de sa capacité d’adaptation face à un monde divers qui bouge et évolue. Et c’est peut-être en cela qu’il représente aussi le mieux un des exemples de la littérature insulaire martiniquaise qui, entre attachement et liberté, donne la mesure de la réelle créativité romanesque antillaise contemporaine.

Notes de bas de page numériques

1 Depuis le « Code Noir » de 1685 jusqu’en 1804. Initié par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) et signé par son fils le Marquis de Seigneley en 1685, le « Code Noir » régissait les rapports entre les maîtres et les esclaves et interdisait l’apprentissage de la lecture et de l’écriture aux esclaves.
2 Raphaël Confiant, Le Nègre et l’amiral, Grasset, 1988.
3 Selon Raphaël Confiant, le terme Créolité est un néologisme imaginé avec Hector Poullet, poète et linguiste guadeloupéen. Dans un entretien avec Delphine Perret du 16 mai 1998, in La Créolité, espace de création, Ibis Rouge, 2001, p. 29, il signalera ne pas savoir lequel des deux a initialement proposé ce terme.
4 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Éloge de la Créolité, Gallimard, 1989 (édition consultée : édition bilingue français-anglais : Éloge de la Créolité / In Praise of Creoleness, 1993).
5 Née de la rencontre entre Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Léon-Gontran DamasS, la Négritude représente l’ensemble des valeurs de culture du monde noir.
6 Mouvement élaboré à la fin des années soixante en réponse à une politique de colonisation « réussie » et contre laquelle Edouard Glissant propose une reconquête de l’identité antillaise.
7 Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créolophone, initialement intitulé : Groupe d’Etudes et de Recherches de la Créolophonie.
8 J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant, Éloge de la Créolité, p. 42.
9 R. Confiant, Créolité et Francophonie : un éloge de la diversalité, www.palli.ch/  Kapeskreyol/articles/diversalité.htm (consulté le 18 mai 2005).
10 La Deffense et illustration de la langue françoyse, réédition, Paris, Nelson, 1936 (complété par l’édition Louis Humbert chez Garnier). Inspiré par le Dialogo delle lingue (1542) de Sperone Speroni (1500-1588), le manifeste s’oppose, entre autres, aux poètes néolatins et souhaite explorer les ressources de la langue française au service de la création ou recréation verbale.
11 Raphaël Confiant, lors de la journée internationale de la Francophonie (20 mars) www.francophonies-mauritanie.mr (consulté le 30 janvier 2004).
12 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Éloge de la Créolité, pp. 26-27-36, Gallimard, 1993.
13 Simone Schwarz-Bart, Pluie et Vent sur Télumée Miracle, Paris, Seuil, 1972.
14 Simone Schwarz-Bart, Ti Jean L’Horizon, Paris, Seuil, 1979.
15 Nicole Baudet, « Les dialectes créoles français », in Jean Granarolo (Dir.), Annales de la Faculté des lettres et Sciences de Nice, n° 28-1977, p. 72.
16 Cité par Robert Fournier, « Questions de créolité, de créolisation et de diglossie », in Pierre Laurette, Hans-George Ruprecht (Dir.), Poétiques et imaginaires, Francopolyphonie littéraire des Amériques, Collectif, L’Harmattan, 1995, p. 169.
17 L’origine de ce terme reste cependant incertaine et certains dictionnaires, tel le Larousse de l’Ancien français, Paris, 1980, suggèrent qu’il s’agissait peut-être d’une déformation de l’italien bergamasco ; épée courte et large à deux tranchants. La définition de ce terme a par la suite été associée à l’image du sexe masculin.
18 R. Confiant, L’Allée des soupirs, Grasset, 1994 (Prix Carbet de la Caraïbe), p. 176.
19 R. Confiant, L’Allée des soupirs, pp. 395-396.
20 R. Confiant, L’Allée des soupirs, p. 183.
21 Henri Gégoire (dit l’abbé), 1750-1831. Ecclésiastique et homme politique français. Député à la Convention, il fit voter la loi contre l’esclavage et souhaitait généraliser l’usage du français national, au détriment des patois. Il proposa donc en 1794 un rapport intitulé : « Sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ». www.gwalarn.org/brezhoneg/istor/gregoire.html (consulté le 18 mai 2005).
22 Ce personnage est présent dans la grande majorité des récits de Raphaël Confiant.
23 Romule Beausoleil, personnage dans Le Meurtre du Samedi-Gloria, Mercure de France, 1997.
24 Danse-combat traditionnelle effectuée au son des tambours, exigeant à la fois force et maîtrise et destinée à prouver la force du vainqueur, qui terrassera son adversaire à coups de pied.
25 Romule, saint martyr né à Césarée en Palestine qui, ayant été frappé à la hache sous le Président Urbain dans la persécution de Dioclétien, mérita les couronnes de la vie éternelle en 303 après Jésus-Christ.
26 Le personnage Amédée est présent ou cité entre autres dans les romans : La Dissidence, L’Archet du colonel, Morne Pichevin, Le Nègre et l’amiral.
27 Le personnage Firmin est présent dans les romans : Commandeur du sucre, Régisseur du rhum, La Dissidence.
28 Le personnage Rigobert est présent entre autres dans les romans : Chimères d’En-ville, La Vierge du Grand-Retour, Le Nègre et l’amiral, Mamzelle Libellule.
29 Le personnage Doriane est présent dans Le Gouverneur des dés.
30 In Affranchissement verbal et images créoles dans l’œuvre de Raphaël Confiant, annexes I et II, mémoire de maîtrise de Lettres modernes, présenté par Hélène Sagols, sous la direction d’Odile Gannier, Université de Nice, 2004.
31 J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant, Éloge de la Créolité, p. 38.
32 Serge Colot, Raphaël Confiant, Dictionnaire des néologismes créoles, dictionnaire en ligne sur le site www.palli.ch (Kapeskreyol, consulté le 18 mai 2005) qui répertorie plus de 2000 néologismes.
33 R. Confiant, Nuée ardente, Mercure de France, 2002.
34 J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant, Éloge de la Créolité, p. 49.
35 Dans un entretien avec Delphine Perret le 10 juin 1998, Confiant affirmait, à propos de la Guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart : « [Elle n’a] pas notre audace [celle de Chamoiseau et de Confiant]. Et même syntaxiquement elle n’a pas d’audace syntaxique. Elle prend un côté rhétorique, des proverbes, mais pas lexical et syntaxique. Nous sommes les premiers à vraiment bouleverser le français » ; paru dans Delphine Perret, La Créolité, espace de création, Ibis Rouge, 2001, p. 154.
36 J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant, Éloge de la Créolité, p. 40.
37 R. Confiant, A propos de la « Nouvelle graphie », www.palli.ch/  kapeskreyol/articles/graphie.html (consulté le 29 novembre 2003).

Bibliographie

Indications bibliographiques

(Sauf mention contraire, le lieu d’édition est Paris)

BIBLIOGRAPHIE NON EXHAUSTIVE DE RAPHAEL CONFIANT

En langue créole :

Jou Baré, poèmes, Ed. Djok, 1977, Ed. Grif An Té, Martinique, 1981.

Jik Dèyè Do Bondyé, nouvelles, Ed. Djok/Grif An Tè, Martinique, 1979.

Bitako-A, roman, Ed. Gérec, Centre Universitaire Antilles-Guyane, 1985.

Kod Yanm, roman, Ed. KDP, Martinique, 1986.

Marisosé, roman, Ed. Presses Universitaires Créoles, Schoelcher, Martinique, 1987.

Traduits en français :

Mam’zelle Libellule (Marisosé), traduction par l’auteur, Le Serpent à Plumes, 1995.

Le Gouverneur des dés (Kôd Yanm), traduction par Gerry L’ETANG, Stock, 1995.

Chimères d’En-Ville (Bitako-a), première traduction française, par Jean-Pierre ARSAYE, Ramsay, 1997.

Morne-Pichevin, (Bitako-a), nouvelle édition définitive, traduite, revue et augmentée par l’auteur, Bibliophane-Daniel Radford, 2002.

La Lessive du diable (Jik Dèyè Do Bondyé), traduction par l’auteur, Ecriture, 2000 (Edition consultée, Le Serpent à Plumes, Collection Motifs n° 190, 2003).

En langue française :

Le Nègre et l’amiral, roman, Grasset, 1988 (Prix Antigone).

Eau de café, roman, Grasset, 1991 (Prix Novembre), (Edition consultée : Le Livre de Poche, 2000).

Ravines du devant-jour, récit, Gallimard, 1993, (Prix Casa de las Americas/Prix Jet Tours), Edition consultée : Folio, 1995.

L’Allée des soupirs, roman, Grasset, 1994 (Prix Carbet de la Caraïbe).

Commandeur du sucre, récit, Ecriture, 1994 (Edition consultée : Pocket, 2000).

Bassin des ouragans, récit, Mille et Une Nuits, 1994.

Le Gouverneur des dés, roman, Stock, 1995.

La Savane des pétrifications, récit, Mille et Une Nuits, 1995.

Contes créoles des Amériques, contes, Stock, 1995.

La Vierge du Grand retour, roman, Grasset, 1996.

La Baignoire de Joséphine, roman, Mille et Une Nuits, 1997.

Le Meurtre du Samedi-Gloria, roman policier, Mercure de France, 1997 (Prix RFO), Edition consultée, Folio, 1999.

L’Archet du colonel, roman, Mercure de France, 1998, édition consultée, Folio 2001.

Régisseur du rhum, récit, Ecriture, 1999, édition consultée, Pocket, 2000.

La Dernière java de Mama Josépha, récit, Mille et Une Nuits, 1999.

Canne, douleur séculaire, ô tendresse ! Album en collaboration avec David DAMOISON, Ibis Rouge, Guyane, 2000 (Prix du salon du livre insulaire d’Ouessant).

Le Cahier de romances, récit, Gallimard, 2000.

Brin d’amour, roman, Mercure de France, 2001 (Edition consultée : Folio, 2003).

La Dissidence, récit, Ecriture, 2002.

Nuée ardente, roman, Mercure de France, 2002.

Paul Gauguin, le barbare enchanté, roman, Bibliophane, 2003.

Les Ténèbres extérieures, roman, Bibliophane, 2003.

La Panse du chacal, roman, Mercure de France, 2004, (Prix des Amériques insulaires et de la Guyane, 2004).

Dictionnaire des Titim et Sirandanes, devinettes et jeux de mots du monde créole, ethnolinguistique, Ibis Rouge, Guyane, 1998.

Kréyôl palé, kréyôl matjé…, analyse des significations attachées aux aspects littéraires, linguistiques et socio-historiques de l’écrit créolophone de 1750 à 1995 aux Petites Antilles, en Guyane et en Haïti, thèse de Doctorat ès lettres, Editions du septentrion, Québec, 1998.

Konsit toutwonlatè asou kréol nan péyi Sésel, Textes issus d’une rencontre sur la Créolité tenus à Mahé (Seychelles) en octobre 1999, CONFIANT Raphaël (éditeur scientifique), Ibis Rouge, Guyane, 2001.

Guide du CAPES de créole, Ibis Rouge, Guyane, 2001.

La version créole, Ibis Rouge, Guyane, 2001.

Dictionnaire des néologismes créoles, tome 1, Ibis Rouge, Guyane, 2001,

Mémwé an fonséyé, ou Les Quatre-vingt dix pouvoirs des morts, Collection Guide Capes Créoles), Jarry : Ibis Rouge, Guyane, 2002.

Dictionnaire des néologismes créoles, en collaboration avec COLOT Serge, dictionnaire en ligne, 2004, www.palli.ch ou www.fabula.org

Dictionnaire du créole martiniquais, 1979-2004, Raphaël CONFIANT, Presses Universitaires créoles (GEREC-F.), dictionnaire en ligne, www.palli.ch

« La Chute de Louis Augustin, commandeur de plantation de canne à sucre en l'île de la Martinique », in Paradis Brisé, nouvelles des Caraïbes. Paris: Hoëbeke (Collection Étonnants Voyageurs), 2004, pp. 59-85.

Le grand livre des proverbes créoles, Presses Châtelet, 2004.

Essais, recueils :

Éloge de la Créolité, en collaboration avec BERNABÉ Jean et CHAMOISEAU Patrick, Gallimard, 1989 (Edition consultée : édition bilingue français-anglais : Éloge de la Créolité/In Praise of Creoleness, 1993).

Lettres créoles : tracées antillaises et continentales de la littérature, Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane (1635-1975), essai, en collaboration avec CHAMOISEAU Patrick, Hatier, 1991 (Edition consultée, Folio essais, Gallimard, 1999).

Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle, essai, Stock, 1993.

Ecrire la « parole de nuit », la nouvelle littérature antillaise, nouvelles poèmes, réflexions poétiques, ouvrage collectif, Edition de LUDWIG Ralph, Gallimard, 1994.

« Mémoires d'un fossoyeur ». Noir des Îles (Collectif), Gallimard, 1995, pp.73-93.

Les Maîtres de la parole créole. (Présentation et transcription par CONFIANT Raphaël, photographies de DAMOISON David, textes recueillis par LEBIELLE Marcel, Gallimard, 1995.

 

OUVRAGES CONSULTÉS

BAUDET Nicole, « Les Dialectes créoles français », GRANAROLO Jean (Dir.), Annales de la Faculté des lettres et Sciences humaines de Nice, n° 28-1977.

CONFIANT, Raphaël, COLOT Serge, Dictionnaire des néologismes créoles, dictionnaire en ligne, 2004, www.palli.ch/  kapeskreyol/dictionnaire/neologismes.html consultation mai 2005

CONFIANT Raphaël, A propos de la « Nouvelle graphie », www.palli.ch/ kapeskreyol/articles/graphie.html consultation mai 2005

CONFIANT, Raphaël, Articles et débats, Créolité et francophonie : un éloge de la diversalité, www.palli.ch/  Kapeskreyol/articles/diversalité.html novembre 2003

DU BELLAY Joachim, La deffense et illustration de la langue françoyse, Paris, Nelson, 1936 (complété par l’édition Louis HUMBERT chez Garnier).

DUCHESNE Alain, LEGUAY Thierry, L’OBSOLETE, dictionnaire des mots perdus, Larousse, 1988, Collection Le Souffle des mots.

FOURNIER Robert, « Questions de créolité, de créolisation et de diglossie », LAURETTE Pierre, RUPRECHT Hans-George (Dir.), Poétiques et imaginaires, Francopolyphonie littéraire des Amériques, Collectif, L’Harmattan, 1995.

GREIMAS Algirdas-Julien, Dictionnaire de l’Ancien français jusqu’au milieu du XIVe siècle, Larousse, 1980.

LUXARDO Hervé, L’Abbé Grégoire en guerre contre les « Patois » (1790-1794), ww.gwalarn.org/brezhoneg/istor/gregoire.html, consultation mai 2005

PERRET Delphine, La Créolité, espace de création, Ibis Rouge, Guyane, 2001.

SAGOLS Hélène, Affranchissement verbal et images créoles dans l’œuvre de Raphaël Confiant, mémoire de maîtrise de Lettres modernes, sous la direction de GANNIER Odile, Université de Nice, 2004.

TRÉSOR DE LA LANGUE FRANCAISE, Dictionnaire de la langue du XIXème et du XXème siècles, Éditions du Centre National de la recherche Scientifique, 1975.

Pour citer cet article

Hélène Sagols, « Raphaël Confiant : un langage entre attachement et liberté », paru dans Loxias, Loxias 9, mis en ligne le 15 juin 2005, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=121.

Auteurs

Hélène Sagols

étudiante en Master 2, Université de Nice