Loxias | Loxias 23 Programme d'agrégation 2009 et programmes de littérature des concours | Autour du programme d'agrégation 2009
Philippe Marty :
Le « quelque chose » (« something », « etwas ») des romanciers réalistes
Deux commentaires composés (Thomas Hardy : Tess d’Urberville, chapitre XXIV ; Theodor Fontane : Effi Briest, fin du chapitre XXVII)
Résumé
Deux commentaires composés :
1) Thomas Hardy : Tess d’Urberville, chapitre XXIV, traduction française de Madeleine Rolland, Livre de Poche, de la page 178 à la page 182.
2) Theodor Fontane : Effi Briest, traduction française de Pierre Villain, collection « Bouquins », de la page 770 (« ‘Que peut bien avoir papa ?’ dit Johanna à Annie ») à la page 776 (« échangeant un bref ‘au revoir à Kessin’. » : fin du chapitre XXVII).
Plan
- Note préalable
- PREMIER COMMENTAIRE COMPOSÉ : Tess d’Urberville
- SECOND COMMENTAIRE COMPOSÉ : Effi Briest
- Note finale
Texte intégral
« [S]omething had occurred which changed the pivot of the universe for their two natures : something which etc. » (Tess of the d’Urbervilles) ; traduction de Madeleine Rolland (p. 182) : « le pivot de l’univers avait été changé pour tous deux, changé par ce que… etc. »
« [I]m Zusammenleben mit den Menschen hat sich ein Etwas ausgebildet, das nun mal da ist [...] jenes [...] uns tyrannisierende Gesellschafts-Etwas… etc. » (Effi Briest) ; traduction de Pierre Villain (p. 774) : « avec cette vie que les hommes mènent ensemble a pris forme un je ne sais quoi qui existe bel et bien […] ce je ne sais quoi qui nous tyrannise, ce fruit de la société ».
Le « something » de Hardy et le « Etwas » de Fontane sont, plus ou moins, escamotés chaque fois dans la traduction française. Nous choisissons de conduire les deux commentaires composés qui suivent de manière à montrer que « cela » est le « nom propre » de la chose ou cause que visent les deux romanciers, que la narration ne trouve que le pronom et l’impersonnel pour désigner le motif ultime ou le fond de la fiction. (Seul le second commentaire est rédigé à peu près entièrement, le premier est présenté sous forme de notes et de bribes.)
chapitre XXIV, traduction française de Madeleine Rolland, Livre de Poche, de la page 178 à la page 182.
NB : les n° de pages et ceux des paragraphes, §, sont ceux de l’édition en Livre de poche, bien que cette édition, outre les omissions, inexactitudes, etc. de la traduction, présente aussi un autre découpage en § que celui des éditions anglaises.
INTRODUCTION
Dans Tess, chacune des « phases » dont le roman se compose se termine par un chapitre qui contient une péripétie ou une crise, le récit d’un incident à partir duquel tout se reconfigure, et rien n’est plus comme avant. C’est particulièrement vrai pour le chapitre XXIV, qui achève la troisième phase, la phase heureuse de la vie de Tess. Le narrateur y indique expressément et de manière assez emphatique et redondante, dans la dernière phrase du chapitre (« the tract of each one’s outlook was to have a new horizon thenceforward »), que quelque chose d’irrémédiable a pris place, et qu’une époque nouvelle commence dans le destin des protagonistes à partir de ce point zéro. Ce qui s’est passé peut se dire vite : Angel a « serré dans ses bras » (p. 181, § 7) Tess. Mais si la chose est vite racontée, la préparation, la présentation de l’ambiance et de l’atmosphère, et des conséquences, sont beaucoup plus longues. Et pas seulement parce qu’il s’agit de faire voir les scrupules que doit vaincre Angel, et les circonstances qui le portent. C’est, surtout, qu’il y a, pour le narrateur, « quelque chose » à désigner, un « point » à faire sentir ou tenir (« behold », dernier §) : celui d’où part et où parvient toute l’action. Ce « point » (« pivot » dit le dernier §), le centre de l’univers présenté par Hardy, appartient aux ordres cosmologique et métaphysique, de sorte que tout ce chapitre extrêmement concret et sensuel aboutit, de manière assez étrange, aux formulations « géométriques » du dernier § (« gravitation of the two into one ») et au pronom « something », utilisé comme le mot le plus apte à nommer ce vers quoi, ici, tout tend.
La thèse du romancier Hardy concerne, selon nous, la question de savoir où et comment prend place, comment « intervient », l’incident déterminant, d’où il surgit et quelle est sa nécessité ou sa contingence ; comment et où, dans la trame des événements, vient-il se ficher, ce « pivot » ? Comment la narration repère-t-elle cette pointe ? Dans tous les chapitres précédents situés à Talbothays, la scène est tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur. Celui-ci est, pour la première fois, « tout dehors ». Le chapitre précédent, après la scène d’extérieur (Angel portant tour à tour les quatre jeunes filles), se terminait dans la pièce partagée par les jeunes filles à l’intérieur de la ferme. Ce chapitre prépare la scène et le décor pour le chapitre XXIV, puisqu’il écarte trois des jeunes filles qui prétendaient aux faveurs d’Angel et participaient à la compétition. En termes malthusiens et darwiniens, on peut dire que Tess était la mieux armée dans ce « struggle for life » ; le destin de Pretty, Marianne et Izz s’en ira désormais à la dérive ou vers la déchéance. Pour toutes les trois, l’affaire se règle dans ce chapitre XXIII, et le champ est dégagé pour la partie (« game ») principale, qui se joue à deux, entre Tess et Angel, et dehors, dans les champs.
Car – c’est ce que nous verrons dans une première partie – la nature est ici la place, la scène de l’action. Elle est l’environnement, mais aussi le moteur et le modèle de tout ce qui se passe. Mais nous verrons ensuite que, même si la scène est située dans les champs, et dans cette grande auge qu’est la vallée de la rivière Froom, la narration nous transporte aussi dans la conscience des personnages et que l’événement raconté n’est pas seulement « naturel » et en harmonie avec la saison : ce qui est montré se passe comme un conflit, un partage des points de vue, une diversité des scènes et des plans ; quelque chose d’autre, donc, que le grand accord naturel. Mais ce n’est peut-être pas encore cela, la « place » que le romancier Thomas Hardy veut nous désigner : ni le grand jour de la nature, ni les arcanes de la conscience, mais quelque chose de plus énigmatique qui est enveloppé dans des termes à la fois scientifiques et mystiques (aura, influence, tendency, gravitation) et se condense dans une formule qui nous retiendra (« the gravitation of the two into one »), quelque chose qui n’est ni dedans ni dehors, du point de vue duquel il n’y plus de personnages ni même « la nature », et qui pourrait recevoir aussi le nom de « kairos ». Ce qui est montré, quoi qu’il en soit, dans ce chapitre où la narration combine proximité sensible et distance théorique, c’est ce qui ne pouvait pas ne pas avoir lieu, comme il est suggéré dès la première phrase (alors que la fin du chapitre XI et de la première phase racontait ce qui n’aurait pas dû avoir lieu, si la « Providence » avait veillé).
I.
(D’abord, cela ne pouvait pas ne pas avoir lieu, parce que tout dans la nature, le tout de la nature, conspire à l’éclosion de cet incident, de ce « something », « quelque chose » (p. 182). La nature est ce où l’incident « habite », est logé. Mais elle n’est pas que le grand tout, le milieu où naît la chose : elle se montre dans la diversité et le foisonnement de ses individus, de ses manifestations. Elle est enfin, pourrait-on dire, « paradigmatique » : les personnages ne font que ce qu’elle fait elle-même, ils subissent sa loi.)
1- Voir le début de la première phrase : « Amid the oozing fatness etc. » (la vallée comme réceptacle). La nature est première, les individus n’apparaissent qu’après, à la fin du § 1 (voir aussi, § 5, Angel surgissant inopinément dans la phrase et comme poussé hors de sa cachette par la nature, comme matérialisation de l’atmosphère naturelle : Angel, sans qu’on l’ait d’abord aperçu, était là, épiant Tess). La nature enveloppe par la moiteur. Féminité de l’ambiance moite (voir aussi par exemple loge de Nana, dans Nana de Zola ; cf Beauvoir, Le deuxième sexe : la femme « est l’Eau et il est le Feu... c’est l’humidité chaude... un gouffre moite...). Voir expression mise en tête du chapitre (comme l’ouverture d’un morceau) et qui en donne la tonalité et l’ambiance : « oozing fatness » (mot à mot : le gras, le plantureux suintant, suant). Saison : non pas printemps-espérance, mais été-maturation, canicule : quelque chose doit se passer. La nature = le dehors (la maison portes et fenêtres ouvertes laisse entrer l’ambiance du dehors, p. 179, § 2). Fécondité, p. 178 (« fertilization »), matrice ; la « nature naturante » (Hardy a lu Spinoza) s’entend, comme énorme machine, forge (« hiss of fertilization », sifflement, « bruissement » dit la traduction).
2- la nature (qui n’est jamais dans ce chapitre simple décor pour idylle ou pastorale) est présente dans tous ses règnes et dans la diversité des espèces et des individus (cours d’eau, herbe, poussière, vaches, merles, grives, groseilliers, mouches), êtres humains parmi les bêtes (comme il est normal, dans une ferme). Importance à la fois de l’individuation (chacun veut vivre, chacun désire), des personnalités – les vaches ont chacune leur nom et leur caractère – et par ailleurs insistance sur l’ensemble, l’indifférenciation. Cf. p. 179, § 2, le fermier Crick mentionné parmi ses bêtes, comme leur égal, leur pareil ; l’être humain, à ce niveau physiologique, organique, ne se distingue pas des autres organismes (et, depuis Darwin : homme espèce apparue par hasard dans l’évolution, non dotée d’une origine et d’une destinée qui le distinguent des autres espèces).
3- nature comme fonction, action : « rush », excitation (des vaches qui veulent « sauter par-dessus la haute barrière », p. 179, § 2, et de Angel) ; et en même temps torpeur, indolence (celle aussi de Tess, p. 180, § 4). Voir aussi identification humoristique de la réaction de Tess et de Old Pretty (milieu de la page 181).
Tout le chapitre est « dehors » : la fin du chapitre ne montre pas les deux personnages rentrant à la ferme, elle montre le fermier Crick passant par là et peut-être rentrant, mais elle laisse dehors les deux protagonistes. Cependant, dans ce dehors, différentes instances interviennent comme des « intériorités », des retraits ou cachettes, et détruisent la grande unité naturelle (Voir aussi, p. 181, la réaction de Old Pretty indiquant que quelque chose d’immémorial a été troublé : du 1 est devenu 2 : « voyant deux personnes blotties sous elle, là où, selon la coutume immémoriale, il ne devait y en avoir qu’une etc. »).
II.
1- Opposition entre impulsion (excitation, « impulse », « Drang »), et d’autre part : retenue ; entre action et pensée ; imagination et réalité (voir principalement p. 180, § 5) ; sensualité – moralité ; réfléchi – irréfléchi (cf. bas de la page 181 la disjonction « heart – judgement », cœur-raison). Contraste entre caractère impulsif de l’acte (p. 181, § 7 : « il bondit de son siège ») et caractère embarrassé de l’aveu (milieu de la page 181). Voir le « I do not mean it as a liberty (ibid.), c’est-à-dire l’interprétation (« mean ») qui se substitue tout de suite à la pulsion. Du côté de Tess : le « became conscious » (p. 180, § 6) prenant le relais du « she did not know » du § 4. Ils sortent du paradis de l’innocence et inconscience, ils se retirent et se cachent, cf. dans le dernier §, p. 182 allusion éventuelle à Genèse 3, 8 (« Et Adam se cacha avec sa femme devant le visage du Seigneur etc. », le laitier Crick comme Dieu le père régnant sur cet Éden).
2- Toutes les oppositions recensées en II, 1 peuvent se rassembler dans le seul mot d’« esthétique », avec ses deux sens : soit discours des sens, des sensations, soit discours du beau (cf., pour le deuxième sens, le verbe « study », § 5). Voir § 3-4-5 contemplation « esthétique » de Tess par Angel : un tableau, un camée ; Angel se tient à distance convenable, celle de l’esthète, contemplateur (et il pense à la poésie pétrarquiste des Élisabéthains : § 5) ; mais : zoom sur les lèvres (fin du § 5), épiderme de Tess vu de très près. Importance de l’expression « a close eye », la traduction dit « un observateur attentif » (§ 6), mais il s’agit d’un très gros plan, d’un œil (celui du narrateur, celui de Angel) comme posé sur l’objet visé, exorbité comme dans un dessin animé de Tex Avery. Cf. Georg Simmel définissant, dans son article « Esthétique sociologique » de 18961, les productions du naturalisme comme des « tentatives désespérées de saisir la proximité et l’immédiateté des choses ». Le contact (l’œil « posé sur ») interdit la jouissance esthétique, laquelle demande la distance ; le désir – désir de saisir et de posséder – se substitue à la contemplation.
3- Autre mot (autre que le mot « esthétique ») traduisant la destruction de l’unité et l’introduction de la « dualité » : celui de « conscience » (cf. p. 181, § 9, « for tender conscience’s sake », la traduction dit : « par un scrupule délicat »). Plusieurs points de vue ou sujets ou « consciences » dans le chapitre : Angel, Tess, Crick, narrateur (cf. intervention du narrateur § 5 pour corriger jugement esthétique de Angel : « mais non, elles n’étaient point parfaites [les lèvres]). À partir de la fin du § 5 : mouvement de « champ – contrechamp » : la narration saute sans arrêt de Angel à Tess, et cet échange, ce va-et-vient, se résout § 11 (milieu de la page 181) par l’intervention de Old Pretty qui permet un relâchement de la tension. Dualités, donc, pluralité, plutôt que le « tout » (la nature, la saison, le désir comme un tout) : le chapitre peut se lire tout entier en termes de dedans-dehors, conscience-nature (cf. dernière phrase du § 1, l’opposition, en anglais, entre « outward » et « inwardly »).
Tout le chapitre se lit comme une bataille (cf § 7, p. 181 « bataillon vaincu », « defeated batallion »), flux des pulsions qui l’emportent sur les « reticences », et ensuite reflux, retrait, retour de la séparation (« the marked sundered pair », dernier §). A partir de § 9 (cf. verbe « check »), retrait, comme on retire la main du feu : les « chaleurs éthiopiennes » (§ 1) sont intenables ; l’ombre (la conscience) est recherchée. Mais il y a quelque chose (un point, une place) qui ne souffre pas la cachette, n’est ni un lieu où l’on puisse se retirer, ni un lieu où l’on peut sortir ; quelque chose d’autre dans le chapitre que l’opposition conscience – nature, sujet – objet.
III.
1- Tout d’abord, cependant, le chapitre est en effet le récit d’une brève impulsion, d’un élan, d’un « rush » (cf § 7, « he jumped up »). Angel fait ce que font les vaches (§ 2, « the cows jumped wildy over the barton-gate » : il renverse barrières et convenances). Angel n’est que désir, « Drang » (cf. Schopenhauer), pulsion sexuelle ; moins un individu qu’un lieu, une place, un point, emporté vers un autre point. Capable de ruse et tactique à la façon d’un Alec (cf. § 3 il profite des circonstances – vaches isolées – et de la configuration des lieux – « corner of a hedge »), il saisit l’occasion, « kairos », comme Alec aux chapitres VIII, X et XI et à nouveau chapitre XLVI. Angel momentanément « byronien » (cf. p. 222 : « il tenait de Shelley plus que de Byron ») ? L’univers et tous ses éléments ne sont là que pour servir son désir. Tess de son côté passive, indolente (opposition archaïque entre feu et terre, homme actif et premier, et femme qui ne fait que recevoir, « seconde » : cf. surtout § 8 « she yielded... sank upon him... » ; sujet et objet, observateur et observée, désirant et désirée).
2- Mais ce n’est pas tellement cette impétuosité que Hardy veut montrer, dirait-on. Le vocabulaire de l’action et de la décision est doublé par un vocabulaire scientifique et philosophique, semé dans tout le chapitre, et se résumant dans le « Nobody had beheld the gravitation of the two into one » du dernier §. Termes de physique, d’astronomie : Angel et Tess comme deux planètes, deux points de l’univers, mais formant eux-mêmes un univers. En définitive, les circonstances (chaleur, etc.) ne comptent guère, ne sont pas la cause essentielle : ce qui a fermenté et est « né » cet après-midi-là est une manifestation d’un plan et d’un ordre cosmologiques. Contraste entre formulation physico-mathématique (« two into one ») et l’indication descriptive (« that screened nook », dernier §). Mais étrangeté de l’expression « gravitation etc. » : attirance des deux se changeant en un – un quoi ? un couple ? Le couple, « pair » : quelque chose d’autre que la réunion de « deux ». Le couple (le 1 en 2, le 2 fait 1) est précisément ce que nul (le laitier pas plus que quiconque) ne voit jamais : c’est ce que le narrateur veut faire sentir, ici, cette « tendance », « appartenance » (tout autre chose que l’institution du mariage !). Instant et mystère de la rencontre, conjonction ; 2 points en un même lieu (Tess cédant sa place, « yield » § 8, le désir rend possible l’impossibilité géométrique). Destruction de l’individuation, retour à l’un ? Cf. verbe poétique « behold » (dernier § : « Nobody had beheld etc. ») ; personne n’a vu sauf la vache, § 11, mais justement elle voit du 2 au lieu du 1 (souvenir peut-être, pour l’emploi du mot « gravitation », de Wordsworth, Prelude, II, v. 232 et suivants : « The gravitation and the filial bond / Of nature that connect him with the world » ; il s’agit ici de l’enfant pour qui la mère est tout l’univers, toute la nourriture : dans les veines de l’enfant sont infusés et se confondent « the gravitation etc. » ; nature comme loi physique et loi du sang, deux sortes de liens ou de fatalités, idée d’influence ou infusion ; femme : terre nourricière, matrice, nature, mère).
3- Pour désigner ce qu’il y a à désigner, vocabulaire de la science ou de la philosophie ne suffit pas non plus : vocabulaire mystique, ou conjuguant sensible et spirituel. Cf. « aura » (fin du § 5), signalé par italiques comme « Weltlust » (p. 354) ; à la fois terme (grec ou latin) de médecine, de chimie, de mystique (signifie aussi en anglais : atmosphère chargée d’électricité) ; sens premier : vent léger. Auquel des cinq sens l’aura se manifeste-t-elle ? L’aura enveloppe (Tess) et, provenant d’elle, relie Angel et Tess : résout la contradiction éloignement-proximité, contemplation-contact, idéal-incarnation. Cf. aussi le mot « influence » (traduit par « surexcitation » ou « annonce », § 7) : sens mystique et médiumnique (action à distance et mystérieuse). Cf. encore « momentary joy », § 8 : l’expression se fait entendre de plusieurs façons : c’est instantané (et définitif), momentané (provisoire, éphémère), enfermé dans le moment (le « kairos »). De l’étendue au temps : ce qu’il y a à montrer, pour le narrateur, n’est ni saison, ni après-midi, ni impulsion d’un moment, ni instant – mais conception, formation, éclosion du « un », du « duel » (voir dernier § : « the sundered pair were more to each other than mere acquaintance »). Cela se dit pour finir par « something » (dernier §) ou « it » (avant-dernier §) et pousse le romancier à céder la place au philosophe. Ce qui apparaît (au « dairyman ») c’est la séparation, l’individuation (Tess ici, et Angel là, la séparation marquée entre les deux : « the markedly sundered pair »). Le lien, la loi de l’harmonie n’apparaît jamais (les lois physiques sont invisibles : qui a jamais vu une loi ?) pas plus que la loi aveugle et préindividuelle du désir, le « quelque chose ».
CONCLUSION
On est revenu, ainsi, dans cette troisième partie du commentaire, au « un » de la première partie (unité naturelle), de même que l’expression « stubborn and resistless tendency » (dernier §) rejoint le « it was impossible that the most fanciful love should not grow passionate » de la première phrase du chapitre (voir la traduction : mauvaise interprétation sans doute de « fanciful »). Cette « tendance », c’est cela que Hardy, en dernier ressort, veut désigner dans ce chapitre torride : elle est la base et le « pivot », ce qui apparaîtrait si on retirait brusquement le voile (« whisk aside », dernière phrase du chapitre) comme un prestidigitateur (voile de Maya ?) : le vrai terrain, la vraie place, le point d’où partent toutes les actions et toutes les motivations. De ce point de vue, ce chapitre est caractéristique de la manière de Hardy, romancier étonnamment théoricien, quittant régulièrement le récit et ses personnages pour adopter formulations du métaphysicien et de l’algébriste (et s’en remettre à Schopenhauer et Darwin, c’est-à-dire à quitter le plan des personnages, pour atteindre celui des espèces).
Mais nous avons insisté aussi sur descriptions, notations relevant de la sensation, de la physiologie, de la psychologie, sans oublier l’humour (pas très fréquent pourtant chez Hardy) : voir encore « l’éternuement prosaïque », fin du § 5 (éternuement début d’orgasme, dit-on parfois). Mais il y a une chose que nous n’avons pas relevée : le ton d’inquiétude et de menace qui se fait entendre en sourdine tout au long du chapitre, par exemple dans les derniers mots du chapitre (non traduits : « for a short time or for a long »), dans les pleurs de Tess (p. 181) ou le « soupir de désespoir » de Angel (p. 181), dans le mot « qualm » (fin du § 5 : accès de faiblesse, scrupule tourmentant, mauvais pressentiment), dans tout ce qu’il y a d’excessif (chaleur insupportable, scrupules immédiats de Angel § 10). Quelque chose de neuf, un nouvel univers s’est formé à partir de l’incident relaté dans ce chapitre. Il n’est pas certain que la « conséquence » en sera heureuse, et le titre de la phase suivante maintient le doute.
En quelque sorte, Angel profite ici de la catalepsie (« trance ») de Tess comme Alec profite de son sommeil, il est attiré par les lèvres de Tess comme l’est Alec (cf. p. 68, 81, 87, 88 ; cf. choix de Nastassja Kinski dans le film de Polanski). Son élan et son aveu se produisent ici avec le « retard maladroit » dont le narrateur nous a entretenu à la fin du chapitre V : la vallée de la Froom est comme l’Éden ou comme la vallée montrée à saint Jean du haut de la montagne (Apocalypse, chap. 21 et 22 ; cf Tess, p. 135), mais le tragique de la destinée de Tess est que l’Éden n’est pas au commencement, il intervient au milieu comme un répit, et il ne sera pas éternel comme elle le souhaite p. 231 au moment où elle fixe le jour du mariage et sanctionne la « chose » qui a pris naissance dans ce chapitre-ci. Du temps a passé, l’automne touche à sa fin au moment où elle fixe la date : et cette simple constatation est en soi catastrophique, elle est le signe du « jeu » que la nature joue avec les êtres : l’ambiance étouffante et la surexcitation de cette après-midi d’août, la torpeur immobile, étaient une espèce de piège.
Traduction française de Pierre Villain, collection « Bouquins » de la page 770 (« ‘Que peut bien avoir papa ?’ dit Johanna à Annie ») à la page 776 (« échangeant un bref ‘au revoir à Kessin’. » : fin du chapitre XXVII).
INTRODUCTION
C’est la chute d’Annie (impétueuse dans ses jeux comme l’est sa mère) qui est à l’origine de la découverte des billets de Crampas à Effi, et qui est donc à l’origine du duel, et de la mort de Crampas. La blessure d’Annie, « ce n’est rien », a dit le docteur, cité au début du passage que nous commentons ; « c’est bénin », lit-on dans la traduction française. Mais il est bon d’entendre le « es sei nichts » du texte allemand. C’est Johanna qui prononce ce « d’après le docteur, ce n’est rien ». Nous laissons de côté le rôle éventuellement machiavélique de Johanna, qui a incité Roswitha à forcer, à l’aide d’une barre de fer, la table à ouvrage. Nous ne retenons que ce « rien ». Ce qui revient, et qui est l’objet, la chose, ou cause développée dans ce passage, pourrait, en effet, n’être rien. Les billets retrouvés tout en bas dans un des tiroirs de la table à ouvrage, parlent d’une brève liaison, vieille de sept ans ; et c’était dans cette « Poméranie de derrière » (Hinterpommern) qui n’est, vue de Berlin, qu’une province reculée du royaume et du Reich, presque un lieu de relégation, comme la Posnanie (voir p. 761). C’est « comme si cela s’était produit sur une autre étoile », dit Wüllersdorf (p. 774). Pourtant de cette affaire que les « années » ont rendue comme « nulle » (« verjährt »), sortira la mort d’un homme. C’est qu’au « rien » s’oppose « un quelque chose », « ein Etwas » (« un je ne sais quoi » dans la traduction, p. 774).
Geert von Instetten n’a pas d’autres mots que cet indéfini pour désigner ce qui, estime-t-il, rend inéluctable le duel. Et le narrateur n’intervient pas par-dessus son personnage pour mettre un nom à la place du pronom, pour commenter, juger, prendre parti. C’est que, sans doute, le « etwas » est la désignation la plus exacte de ce qui est en jeu dans ce passage. Aucun autre mot, pas même le nom « société », ou le nom « vivre-ensemble » (« Zusammenleben »), ne vaut à la place du pronom. L’indéfini ne sert pas ici à exprimer une force occulte ou métaphysique, mais à indiquer une chose « qui est là », indubitablement (« das nun mal da ist »), de telle sorte que le fonctionnaire et homme du monde Geert von Instetten doit la prendre en compte, et avec lui le romancier « réaliste » Fontane, le réaliste étant précisément l’artiste qui détecte et retient seulement les « faits », les « Tatsächlichkeiten », les choses qui, effectivement, sont. La chose qui fait que le conseiller Instetten doit demander publiquement réparation ne peut être désignée plus précisément que par l’expression « quelque chose », mais, positivement, elle est. Dans la discussion entre Geert et son collègue et ami, il apparaît qu’elle s’enveloppe aussi dans la préposition ou le préfixe « mit- », ou « cum- » (« Mitwisser », « confident », p. 775) : l’individu « vit-avec », « appartient à un tout » (p. 774). Ce passage est ainsi un des plus « politiques » du roman, au moment justement où le récit aurait pu dériver vers l’inspection psychologique (sous la forme par exemple du monologue intérieur).
Nous verrons cependant, dans une première partie de notre commentaire, que le passage, d’un bout à l’autre, a bien pour thème quelque chose d’intime, de « apart » (pour utiliser un adjectif qui, tout au long du roman, associé à Effi, fonctionne comme un signal). Ce qui fait irruption, la chose découverte (l’adultère) vient d’un temps et d’un lieu « à côté » et « au dehors ». Cette chose « unheimlich » bouleverse l’ordonnancement habituel (emploi du temps, des choses et des lieux), mais elle pourrait redevenir « rien » : être enfouie dans les « cœurs » ou maintenue dans le dehors. Cette issue est envisagée, et par ce moyen rien ne se serait passé que d’individuel, d’isolé. Mais le texte montre précisément (c’est ce que nous étudierons dans la deuxième partie de notre commentaire) comment cette issue et ce moyen sont repoussés : le protagoniste traite la chose, non pas comme du secret, du subjectif, mais au contraire comme un cas à objectiver ; et le narrateur pour sa part ne « profite » pas du coup de théâtre, du malheur de Geert, pour s’introduire dans le for intérieur des personnages. Plus que jamais, Fontane ici est « réaliste », au sens où il ne note que des signes, des indices, des faits. Triomphe du réalisme « positiviste » donc, pour rendre compte d’une crise subjective ; narrateur et protagoniste « nüchtern », objectifs, tous deux. Pourtant, comme nous essaierons de le montrer dans la troisième partie du commentaire, tout ce passage s’efforce de désigner un mystère. Mais le mystère, le caché, ce n’est pas l’adultère « derrière le moulin », c’est au contraire le plus social, le plus public. Le même « quelque chose » qui explique le « ich muss », « je dois », prononcé par Instetten, cette même chose constitue aussi l’horizon de l’art réaliste, cela que le réaliste, par tous les moyens dans son récit, cherche à atteindre parce que c’est le fait social global, la société elle-même dans son ensemble comme un fait observable. L’épreuve intime sert, donc, par le moyen de la narration objective, de pierre de touche politique. - Pour résumer les trois rubriques successives de notre commentaire : le « apart » (l’exceptionnel qui dérange l’emploi habituel du temps et découvre tout un monde « à côté ») ; l’objectif (le « positif ») ; le politique.
(I : « apart »)
(quelque chose se passe dans le récit, qui désigne un monde « à côté », un temps et une topographie « dehors » : hors du social, du familial, du conventionnel ; bouleversement de l’ordre habituel, intrusion, « das Unheimliche »)
(1 : Lieux et choses « à côté » ; irruptions, effractions)
Dès le début du passage : Johanna et Annie s’interrogent sur ce qui se passe « à côté » ; Geert enfermé dans la pièce à côté (son bureau) (en allemand : « nebenan », « Nebenzimmer »). Dans cette pièce plus officielle que privée, le bureau de Geert (qui représente le public et le professionnel à l’intérieur du domestique), la narration entre pour la première fois, « par effraction » (comme Johanna et Roswitha ont fracturé la table à ouvrage) ; c’est dans ce lieu de travail que va se traiter l’affaire personnelle. C’est là que Geert fait apporter la lampe (p. 771) : irruption de l’intime. Lampe symbole d’intimité : voir p. 586. Lampe représentant Effi. C’est comme si Effi elle-même, c’est-à-dire sentiment, charme, etc., pénétrait cette pièce réservée à l’administration rationnelle (voir p. 774 sur « la société qui ne se préoccupe ni de charme, ni d’amour », et comparer avec la disposition et attribution des pièces dans la maison de Kessin). Hospitalité « déplacée » : l’hôte (Wüllersdorf) reçu dans le bureau particulier et non dans la pièce habituelle (voir soirée amicale décrite p. 760-761). Ces déplacements et effractions sont produits par la découverte des billets dans un lieu où ils ne sont évidemment pas à leur place : la table à ouvrage.
Les billets : déplacent la narration, la reportent dans un lieu qu’elle avait quitté. Le texte des billets : il parle de lieux « à côté », « derrière » : « dans les dunes, derrière le moulin... maison suffisamment isolée » (p. 771). Le « jenseits » : Crampas désigne dans le premier billet ce qui « est au-delà ». Tous ces lieux à côté préparent ce qui s’appellera plus loin « Nebenkonstruktionen », « constructions à côté », p. 823 (lieux en marge de la société étouffante, sortes de soupapes et d’exutoires ; voir aussi les lieux de plaisir à la périphérie de Berlin évoqués p. 789-790). Toute une géographie « à côté » : le « au revoir à Kessin » de la fin du passage (p. 776) indique que cette marge interlope, une fois qu’elle s’est fait sentir, ne peut pas ne pas être rapatriée, intégrée ; elle ne peut plus être considérée comme une « autre planète » (p. 774).
Geert lui-même « déplacé », bouleversé : arpente son bureau (au lieu d’y travailler) : p. 770 et 772. Geert sort, mais pas pour se rendre au ministère : sortie « oisive » (p. 770), « un pas hors de » sa trajectoire habituelle. Il a besoin du dehors, de l’air (comme Effi dans le dernier chapitre) : « il ouvrit la porte du balcon » (p. 771), « il s’approcha de la fenêtre etc. » (p. 773). Notations d’extérieur en relation avec Geert (« le soleil était déjà couché... », p. 771) (comparer aussi avec p. 761 : Geert se retire dans son bureau après le départ des invités pour « liquider encore une pile de dossiers » ; ici aussi, il s’enferme dans son bureau, mais pour s’y isoler, pour y trouver ce que l’anglais appelle la « privacy »).
(2 : Le temps « apart »)
Pas seulement irruption d’autres lieux, mais intrusion d’un autre temps à l’intérieur du temps habituel, le temps du fonctionnaire divisé et rempli par le service (voir p. 765, comparer avec l’indication imprécise donnée à Johanna : « une heure ou peut-être deux », p. 770, ou l’expression « des heures passèrent », p. 771). Voir aussi le « saut de ligne » (beaucoup de chapitres d’Effi Briest sont ainsi divisés) au début du passage, indiquant qu’un temps indéterminé passe (correspond éventuellement à un « fondu au noir » cinématographique). C’est comme si Geert découvrait le temps propre à Effi : oisiveté, incertitude (de Geert : « je ne sais pas », p. 773 ; de Wüllersdorf : p. 774, 775), remémoration (devant les photos de « Ein Schritt vom Wege »), sortie, promenade, angoisse et solitude (comparables à celle de Effi p. 622-629).
Ce temps à côté et « en arrière » (de « six ou sept ans », p. 773), c’est toute l’époque « kessinoise », qui fait irruption dans le temps réglé, mondain et familial de Berlin. Ce temps caduc, « liquidé », pour lequel « il y a prescription » (p. 773), est à nouveau actuel et imminent. Temps libre et adultère comme l’envers de l’emploi du temps de caserne de Geert (p. 765, c’est un militaire, Max Piccolomini, qui parle, dans la citation de Schiller) : billets sans date, sans heures : « Viens cet après-midi... », p. 771). Ce passé, s’il n’est pas « réglé », portera son ombre sur tout l’avenir : « Je suis, et pour toujours, à partir de maintenant, etc., p. 775 (la nomination de Geert, à laquelle le troisième billet fait allusion, avait mis un terme à l’adultère et ouvert l’avenir et une nouvelle vie au couple Effi-Geert, tandis que, parallèlement, le coup de théâtre constitué par la découverte des billets détruit l’institution Effi-Geert et reporte l’histoire dans le passé vieux de sept ans).
Premier effet de l’horaire relâché : longue conversation et en quelque sorte pour rien, puisque Geert avait d’emblée pris sa résolution et ses dispositions (p. 772), qu’il est de toute façon tenu par un « je dois » (p. 774) et que les deux interlocuteurs sont par principe d’accord. Mais ce temps « oiseux » est nécessaire pour que Geert se reprenne et pour que Wüllersdorf se rende à l’évidence sociale ; temps tout à la fois intérieur et social.
(3 : « unheimlich »)
Tous ces dérangements (des lieux, des objets, des horaires, des habitudes et des gens) peuvent être désignés par l’adjectif « unheimlich » (qui se rapporte, dans le roman, presque toujours à Kessin, voir par exemple p. 779) : quelque chose se manifeste qui, caché, n’avait pas cessé d’être présent, d’être dans la place (comme les lettres avaient toujours été dans le tiroir, au milieu de la maisonnée). Le « Unheimliche », c’est ce qui revient. Par exemple, le « moulin » revient, p. 771 : sans doute le moulin de Utpatel (qui avait été montré « de loin » dans le récit, p. 637, à propos du Chinois). Tout le « personnel » de Kessin revient, tous les acteurs de la pièce, dont le titre revient (p. 771). Le nom même de Kessin revient (771, 772, 776) chargé de tout autres connotations pour Geert que par exemple p. 761 où il plaisantait sur « notre bonne ville de Kessin ». Incongru, déplacé, ce nom de personnage qui n’apparaît qu’ici, dans les lettres découvertes : « la vieille Adermann » (p. 771).
Inquiétant aussi, « unheimlich », que les mêmes mots puissent se découvrir avec un autre sens, par exemple le pronom « nous » dans les billets de Crampas (désignant Crampas-Effi, un « nous » isolé de tous les autres) et le « nous » de Instetten (p. 774) désignant au contraire « nous vivant en société ». Voir par exemple aussi le mot « compassion » (p. 775), « Teilnahme », qui n’a plus guère un sens privé, mais signifie au contraire que Wüllersdorf « prendrait part » à la vie de Instetten, en tant que contrôleur, représentant de la société. Une autre Effi se montre aussi, prononçant ou écrivant des mots que le récit n’avait pas recueillis au moment même (technique que Fontane emploie fréquemment) et qui sonnent, longtemps après les faits, d’une façon d’autant plus étrange qu’ils nous sont donnés rapportés par Crampas : « Nous aussi, nous avons un droit » (signifie que Effi a parlé du droit que Geert et la société possèdent) ; « partir, écris-tu, prendre la fuite », etc. Les mêmes faits aussi reviennent en montrant maintenant leur face alors cachée : dans le troisième billet, un événement qui avait été rapporté à sa place dans le récit (nomination de Geert à Berlin, voir p. 724-725), est à nouveau présenté, mais cette fois-ci du point de vue des amants : le billet est donc datable, mais c’est une autre temporalité et un autre niveau, souterrains (c’est le niveau du « Schloon », de l’invisible-menaçant) qui vient à la surface de façon « unheimlich ».
« Unheimlich » enfin les mots étrangers (français), mots à côté ou « apart » dont le sens peut être flottant, comme le mot « Galan », p. 772 (= homme galant, soupirant, amant) (Wüllersdorf, p. 773, emploie le mot allemand, « Liebhaber », qu’il avait déjà employé à propos de Crampas pour signifier l’emploi d’amoureux au théâtre, dans la conversation p. 761). Dans la phrase « il s’agit d’un galant de ma femme etc. », noter le souci de précision de Instetten (« un ami, ou disons presque »), et l’imprécision introduite par le mot étranger ; pourquoi « Galan » est-il utilisé : souci des convenances ? pudeur ? parce que ce serait tout de même le mot le plus exact ? le mot officiel ? Le mot le plus recevable ? parce qu’il voile le fait ou au contraire parce qu’il est cru ? Et qu’est-ce que le mot dit de Effi elle-même, et des sentiments de Geert ? La teneur « unheimlich » du mot produit une difficulté pour le traducteur (« galant » au sens de « séducteur » est vieilli en français ; le lecteur français doit entendre l’étrangeté du mot français, c’est-à-dire étranger). Autre exemple : « jeu d’esprit », p. 773 (opposable au « Spiel » dont parle Geert p. 774, « le jeu était encore entre mes mains », et p. 775, « le jeu m’avait échappé des mains »).
(II : Objectivité, positivité)
(Un abîme s’est ouvert dans la vie de Instetten, un bouleversement du quotidien berlinois, et du cours de la narration, une « catastrophe » ; le passé, les choses « de derrière » et « d’à côté » font retour. Pourtant, ce qui frappe à la lecture, c’est – comme le montre la phrase sur le « galant » - le ton neutre, maîtrisé, le ton de rapport objectif qui se conserve d’un bout à l’autre.)
(1 : Dans les cœurs et dans les âmes)
Ce n’est pas que Instetten ne souffre pas, mais nous sommes dans un monde, un milieu, où l’homme, et en particulier un fonctionnaire prussien, ne peut laisser aller ses sentiments, surtout devant un collègue, même si Wüllersdorf est un collègue « spécial » : voir p. 749, où Wüllersdorf est présenté comme « collaborateur immédiat » de Geert, ce qui traduit le « Spezialkollege » du texte : collègue et ami, collègue et proche. Mais dans le passage, Wüllersdorf n’est jamais appelé « ami » (sur « tendresse » et « carrière », voir p. 671) : il est « confident » et remplira la fonction de « Sekundant » dans le duel.
Malgré la barrière des convenances, la narration pénètre dans l’âme de Instetten. Elle ne le fait pas par le moyen du monologue intérieur, ou en présentant des suppositions, ou déductions (du type « sans doute, Instetten souffrait-il car...) ou encore des généralisations d’ordre psychologique. Elle le fait parce que Instetten lui-même (et Wüllersdorf) le fait entrer, c’est-à-dire que Instetten lui-même exprime l’état de son âme, dans la conversation : Fontane est romancier de la conversation parce que réaliste, et vice versa. Voir les moments où Geert parle de ce qui « est » à l’intérieur de lui : « je suis infiniment malheureux ; on m’a humilié etc. » (p. 773), ou encore : « cela m’est arrivé trop brusquement, trop violemment », p. 775 – indications d’autant plus marquantes qu’elles prennent place dans le cadre d’une conversation dénuée de pathos. Voir aussi Wüllersdorf : « c’en est fait du bonheur de votre existence », p. 773. Contraste entre extérieur (convenances et apparences sauvegardées) et intérieur (invisible) bouleversé.
Scène d’intérieur, dans tous les sens : opposable aux scènes mondaines, sociales (réveillons du jour de l’an), domestiques ; opposable aussi au « dehors », à « l’air libre », suggéré dans le premier billet de Crampas. Scène d’intérieur aussi au sens où « l’extérieur » ne peut apporter de solution : s’il représentait une issue, le récit aurait suivi Geert dans les rues, déambulant et délibérant (Geert nous apprend, p. 775, qu’au cours de sa sortie, il s’est rendu chez Wüllersdorf, lui a laissé un billet ; mais il a eu le temps de faire autre chose, ce à quoi il est fait allusion p. 774 : « j’ai mûrement pesé le pour et le contre »). Mais il n’y a pas à délibérer, puisque la conduite à tenir est prescrite : c’est pourquoi la scène se tient dans le cabinet de travail, plus lieu d’administration que privé, et le malheur de Geert est traité comme un « cas » par les deux fonctionnaires. Scène d’intérieur enfin par les allusions à l’intimité, l’intériorité : voir les expressions « dans les replis les plus secrets de mon cœur » (p. 774), « dans mon propre cœur » (p. 775), « dans votre âme » (p. 775). Mais cette dernière occurrence signale précisément que l’intériorité, le cœur, l’âme ne sont jamais des cachettes sûres (des « tombes », p. 775), à part du monde social, puisque que Geert serait capable de détecter ce qui se passe dans l’âme de Wüllersdorf et pourrait parler à sa place : « Le brave Instetten, etc. ». Huis clos, donc (d’où sont exclues Johanna, Roswitha, Annie), mais pas débat intérieur : Geert ne pouvait être seul (encore une fois : le narrateur ne montre pas son personnage errant dans les rues), il fallait l’alter ego Wüllersdorf et le tête-à-tête, les répliques et réactions de Wüllersdorf font reflet, c’est parce que les avis des deux hommes se rencontrent, c’est en tant que point de rencontre que se montre le « quelque chose » qui détermine leur conduite. Ce « quelque chose » est à la fois point de vue et point de fuite de la discussion, c’est ce autour de quoi « tout semble tourner » (p. 773), « l’idole » (p. 776) qui fait que Instetten ne peut plus « se retirer » (p. 775, « ich kann nicht mehr zurück ») dans le for intérieur parce qu’il n’y a plus d’intériorité mais partout du social.
(2 : Preuves, arguments : objectivité de Instetten)
La discussion doit donc faire apparaître, faire sortir « quelque chose ». Il ne s’agit pas de mettre en doute, subtiliser, nier, cacher, mais au contraire de mettre en évidence une nécessité objective. L’affaire privée est débattue comme une question d’administration publique. Il ne s’agit pas de trouver ce que l’individu Instetten, étant donné sa situation et ses sentiments, peut et veut faire, mais ce que le « socius » (l’homme social) doit faire étant donné le coup du sort qui l’atteint : adopter un point de vue politique, le point de vue des « autres » (p. 776), vouloir ce que veulent les autres, c’est-à-dire devoir, « sollen », ce « sollen », une fois déterminé, étant un « müssen » : le « muss » encadre l’argumentation de Instetten, p. 774.
Le ton est en effet celui de l’argumentation, pas du tout de la rhétorique passionnelle (le moment passionnel de la réaction de Instetten, la sortie dans les rues, est seulement évoqué). Neutralité, froideur dans la présentation de Instetten. Par exemple, sobriété de la phrase dans laquelle il résume l’affaire (« il s’agit d’un galant etc. », p. 772) ; noter l’objectivité incluse dans le « il s’agit... ». Il s’agit de s’analyser comme on analyserait une affaire d’intérêt public : « Et si je me questionne pour savoir, etc. », p. 773). Les mots mêmes de la passion utilisés de façon objective, et comme désamorcés : « haine », « vengeance » (p. 773), mais aussi « j’aime ma femme », « je suis tellement sous la fascination, etc. » (p. 773-774 ; ou dans la bouche de Wüllersdorf : « tuer l’amant », « douleur du chagrin ») : ce qui est l’apanage de la subjectivité est mis à distance, car ce n’est pas de là que sort le « ich muss », c’est autre chose qui doit conduire le raisonnement. Toute l’affaire fondée sur des preuves : les billets de Crampas, que Instetten montre à Wüllersdorf. Voir aussi les répliques de Wüllersdorf : il parle comme au bureau, ou comme un militaire, formules concises, sèches (p. 774 : « peux vous suivre parfaitement... serais sans doute etc. »). Comme au bureau aussi, la présentation analytique : « d’abord... deuxièmement... » (p. 773, et déjà p. 772 : « c’est en vue de deux choses... en premier lieu etc. »), ou la façon dont Instetten sélectionne (p. 771) trois billets après premier examen de l’ensemble (ainsi fait un conseiller ministériel avec son courrier). Il s’agit pour les deux hommes de « voir » l’affaire, de la saisir objectivement dans sa réalité et dans ses implications, de délimiter le problème, d’en pointer le centre. En même temps que les formes du raisonnement, les formes de la politesse aussi sont observées (voir façon dont Instetten reçoit Wüllersdorf, p. 772 – de la même façon, le duel lui-même est un acte social codifié – à la fois puni par la loi, et, de ce point de vue, caché, et par ailleurs admis et reconnu).
Autre moyen d’atteindre l’objectivité : la généralisation (non pas du tout pour atténuer le malheur, du type « il y en a tant qui doivent vivre sans ce ‘vrai bonheur’ », p. 774). Généralisation distingue de la première tirade de Geert (où domine, comme sujet des phrases, le « je ») la deuxième, p. 774, où apparaît et se répand le « on » (« on n’est pas seulement un individu isolé », « on n’a pas besoin d’être heureux »). Comme si Geert avait atteint, dans la deuxième tirade, le niveau du général et du politique. Le « on » est une façon de dire « je » et de se voir à partir des autres ; il rapproche, par ailleurs, le personnage Instetten et le narrateur : le « on » du narrateur est en effet une marque de Fontane romancier (voir par exemple début du chapitre 24 : « Tout le monde était à la gare... on avait déjà débattu d’une foule de choses lorsque la voiture qu’on avait prise etc.).
(3 : Indices, narrateur réaliste)
Parallèle entre « froideur » de Instetten et froideur du narrateur. Comme Instetten ne fonde sa conduite que sur la considération objective de la situation, le narrateur ne conduit le récit que d’après des faits et des indices. Cette analogie narrateur-personnage thématisée par Fontane p. 775 : Geert se montre percevant des indices infimes : « un sourire se répandra sur votre visage ou, au moins, il sera parcouru de tressaillements, et voici ce qui vous résonnera dans l’âme... ». C’est ce mode de présentation (tendant à prouver que tout devient public, qu’aucun secret ne peut se garder) qui emporte l’adhésion de Wüllersdorf (« ...vous avez bel et bien raison », p. 775). Le narrateur fait ce que fait Geert face à Wüllersdorf : il relève des indices. Car la conviction (la croyance) du réaliste (« res ») conséquent, est que tout est « chose publique », phénomène apparaissant ; tout a un « Mitwisser » (quelqu’un qui « sait-avec », p. 775) et peut donc être noté sans le recours à la divination omnisciente, à la déduction psychologique, etc.
Voir dans tout le passage comment le récit se fait « de l’extérieur », de même que Geert s’efforce de considérer de l’extérieur le malheur qui lui arrive. Par exemple, c’est parce que Geert relit les lettres « à mi-voix » (p. 771) que le texte des lettres devient une réalité pour nous (lecteurs). Ou encore, c’est par la porte du pronom réfléchi (« je me questionne », p. 773), du dédoublement donc, que le narrateur s’introduit dans la conscience de son personnage ; sinon, il devrait rester à la porte, comme Johanna et Annie au début du passage. Voir aussi : va-et-vient de Geert (p. 770, 772), indice représentant son agitation intérieure. Ou la phrase, p. 773 : « Instetten s’était levé d’un bond... en proie à une excitation nerveuse » ; ici, le narrateur donne symptôme et interprétation, mais l’expression « excitation nerveuse » désigne autant quelque chose de visible que d’invisible. Voir aussi le « semblait-il, il en avait [des lettres] sélectionné quelques-unes etc. », montrant le narrateur notant ce qui apparaît et seulement ce qui apparaît.
Le lecteur de Fontane, et spécialement de ce passage (et aussi le lecteur de Thomas Mann, ce « disciple » de Fontane), doit être à son tour un détecteur d’indices, attentif à des mots quelquefois peu apparents, comme l’adverbe « attentivement », p. 771 (« il regarda l’enfant attentivement et s’éloigna »), par lequel le romancier résume un ensemble de pensées et de sentiments complexes, de telle sorte que le lecteur peut s’interroger, comme le fait Annie. Voir aussi la scène muette, p. 771 : Instetten fait tourner l’abat-jour et défiler les photographies de Effi dans le rôle d’Ella ; c’est un rappel et une objectivation du « tout dans sa tête se mit à tourner » de la p. 770 (juste avant l’extrait que nous commentons) ; le lecteur peut deviner lui-même les paroles du monologue intérieur de Instetten se repassant le « film » du bonheur passé, et deviner son « ébullition » à ce signe : il va ouvrir la fenêtre parce qu’il « trouve qu’il fait lourd ». Accéder à la vie intérieure du personnage, d’autrui, n’est possible que par ces accès-là. De toute façon : d’une part, la véritable vie intérieure, isolée, absolument indépendante de la vie sociale et communicante, n’est pas accessible au romancier ; d’autre part : ce qui se passe à l’intérieur de l’individu n’est peut-être pas singulier, mais « banal » ou social. C’est pourquoi la tâche du romancier consiste à noter des indices plutôt qu’à voyager dans les consciences, car le mystère le plus essentiel n’est pas « dans les replis secrets ».
(III : Le politique)
(Le secret – ce qui ne peut être nommé – n’est pas enfoui dans les consciences ; c’est le « commun » qui est le secret. L’affaire de Geert touche au plus intime, aux « tréfonds », et pourtant elle est politique. À partir du moment où elle se dénonce par des signes, elle se traite comme une affaire où la société prescrit sa loi. Cette interpénétration du privé et du politique est relevée tout au long du XIXe par le roman réaliste, voir par exemple ce passage de La Femme de trente ans de Balzac, chapitre III : « La réclusion ordonnée autrefois à la femme en Grèce, en Orient, et qui devient de mode en Angleterre, est la seule sauvegarde de la morale domestique ; mais, sous l’empire de ce système, les agréments du monde périssent : ni la société, ni la politesse, ni l’élégance des mœurs ne sont alors possibles. Les nations devront choisir ». La manière propre de Fontane consiste à faire sentir en tout point par des signes souvent ténus et discrets (plutôt qu’à nommer et thématiser) l’emprise du politique, et, dans ce passage-ci, à la désigner, par le pronom « etwas », comme chose à la fois anonyme et omnipotente, invisible et partout présente. Le « quelque chose » « existe bel et bien » (p. 774), mais sa réalité ne se prouve que par ses effets. Ses effets, concernant ce passage-ci, peuvent s’envelopper dans trois intitulés : « muss » (le quelque chose comme fatum, nécessité), « man » (le quelque chose comme ce qui supplante le « je »), « mit » (le quelque chose comme production et condition de la « vie en société » ou – comme on dit aujourd’hui aussi en français – du « vivre-ensemble » ; Fontane dit « Zusammenleben », traduit, p. 774 par « avec cette vie que les hommes mènent ensemble... ».)
(1 : « muss »)
C’est le fond de la discussion entre Instetten et Wüllersdorf, ce autour de quoi elle tourne : « Tout se ramène à la question de savoir si vous devez absolument le faire », p. 773. Lutte entre le « je ne sais pas » de Instetten (p. 773) et le « muss » ; entre le « je ne sais pas trop » (p. 774 et p. 775) de Wüllersdorf et le « muss ». Le « muss » (la nécessité d’agir selon une prescription sociale) détruit et remplace les hésitations du « moi ». Wüllersdorf reconnaît à la fin cette nécessité quand il dit, p. 775 : « Je ne vous tourmenterai plus avec mon ‘le faut-il vraiment ?’ etc. » ; c’est-à-dire qu’il reconnaît que le principe à partir duquel les deux hommes doivent mener leur raisonnement et déterminer la conduite à tenir, ce n’est pas (comme Wüllersdorf l’avait exprimé d’abord, p. 773) la question de savoir s’il y a « prescription » », si Geert se sent « si blessé, offensé, indigné que etc. », s’il peut « pardonner » (p. 774). Cette façon de poser le problème n’est pas la bonne parce qu’elle part du « je » et de ses affects. Entendre le diktat ou fatum du « Gesellschaftsetwas », c’est couper court à l’argumentation développée par le moi individuel et passionnel, à ce que Instetten appelle, p. 775, « l’analyse chimique », laquelle s’efforce de déterminer subtilement « le quota exact de corps asphyxiant » – il avait été fait allusion, p. 749 (indice discrètement placé, tout à fait dans la manière de Fontane – manière, ou leçon reprise par Thomas Mann) au chimiste Scheele découvreur de l’oxygène. Oxygène et azote, « Sauerstoff » et « Stickstoff » (« erstickend » = étouffant, asphyxiant), composent l’air qu’on respire. Mais l’ordre prescrit par la société ne souffre pas ce genre d’analyse chimique. Les « autres » ou le « mit » ne se traitent pas comme un corps chimique analysable : il y a le « mit », le « cum ». La société n’est pas plus ou moins respirable. Elle n’est pas « plus ou moins ». Elle est et s’impose. Soit il y a offense publique (et donc nécessité sociale du duel), soit il n’y a pas offense. Le « etwas » est un simple, et non pas un composé. Une fois que ce simple est posé comme pivot de toute l’affaire, les hésitations et le débat cessent, les deux hommes ne discutent plus que des modalités, de la marche à suivre pratiquement (p. 776).
Ce « muss » qui éteint la discussion en se faisant entendre comme « Diktat » s’oppose parfaitement aux considérations faites par Crampas dans ses billets sur le destin et le droit des individus. Première lettre : « Si tu te dis cela [= que nous aussi avons un droit] et te pénètres de cette idée... » ; discours que le moi adresse à lui-même (« wenn Du Dir das sagst... »), discours autonome ou autarcique donc, réflexif, opposable à la prescription de la société désignée par le « etwas ». La société, les « autres », présents en creux dans la phrase de Crampas « Nous aussi, nous avons un droit » : s’il y a « aussi » ce « nous » (Effi-Crampas), ce couple, c’est qu’il y a un autre nous (la société comme ensemble, l’institution du mariage, le conjoint, la morale) et un autre « droit ».Voir aussi deuxième billet (considérations sur le destin, et la nécessité de l’insouciance) et troisième billet : retour et « triomphe » de la société qui apparaît comme la « main » du destin séparant les amants.
Dans la rhétorique (insinuante et séduisante) de Crampas, la nécessité varie au gré des événements (et du désir de Crampas) : fatalité prédestinée de leur rencontre, impossibilité de fuir, nécessité de se séparer (Effi apparaît, à travers ces lettres, telle que son mari la voit et que le narrateur nous la fait voir : incapable de fermeté, sensible à l’attrait du « apart », se laissant dériver). En revanche, le « muss » déterminé dans la discussion entre Instetten et Wüllersdorf ne varie pas. Il vaut, il est agissant à telle époque et dans tel milieu (Prusse vers 1890, fonctionnaires, militaires, aristocratie). Une fois qu’une offense et une souffrance sont divulguées (cessent d’être confinées dans une conscience individuelle), elles sont « actuelles » et ne connaissent pas la prescription (voir débat sur la prescription qui apparaît d’abord à Wüllersdorf comme le point essentiel). Le « muss » prononcé par la société paraît ignorer les années (les sept ans qui atténuent la souffrance, le désir de vengeance), car un indice (c’est-à-dire une chose visible et donc publique) est toujours « présent », même le plus infime : un « tressaillement » (p. 775) sur le visage de Wüllersdorf. En somme, Geert doit se battre (et Crampas mourra) pour dissiper la possibilité de ce « Zucken », parce que ce serait l’indice du jugement de l’autre, et donc des « autres », de la société comme instance de contrôle.
(2 : « man »)
Comme il a déjà été dit plus haut, le « man » (« on ») s’impose dans la discussion. Il reçoit à la fin plusieurs noms : « les autres », « le culte de l’honneur » (opposable et substituable, comme instance fatale, au « jugement de Dieu »), « l’idolâtrie » (p. 776). Le pronom « man » est de plus en plus nettement cultivé dans la conversation : ce n’est plus tellement un tête-à-tête, la société tout entière est présente avec les deux hommes dans le bureau de Geert. Comparer avec le tête-à-tête, l’intimité, le je-tu dessinés par le texte des trois billets. Mais finalement, ce « nous » des billets, cette cellule constituée hors des normes (« au-delà », dit Crampas, p. 771), ne peut pas subsister : elle est détruite par l’irruption fatale (ou providentielle) de la société, de même que le point de vue pris à un moment par Wüllersdorf (« je serai muet comme une tombe », p. 775) ne peut subsister à partir du moment où le « man » se met à parler.
« On » est en effet ce qui parle et fait parler. La société ne fait pas que prescrire le comportement : elle prescrit les façons de parler, et donc de penser. Voir p. 774 : « Pardonnez-moi de vous faire une telle leçon qui ne dit finalement en substance que ce que chacun s’est déjà dit cent fois. Mais, en vérité, qui peut dire quoi que ce soit de neuf ? ». Le « Etwas » qu’est la société produit, sous les espèces du « man », une espèce de sclérose de la pensée et du langage, interdit le « neuf », l’originalité. Avant de se trouver contraint à se battre (et à se séparer de Effi), Geert se trouve ici contraint à dire ce qu’il dit ; il est dans une situation analogue à celle où est Effi le jour de ses fiançailles, poussée elle aussi à parler par expressions toutes faites et en quelque sorte dictées (voir p. 577 : « Chaque homme est celui qu’il faut. Naturellement, il doit être noble etc. »). Pourtant, le « man » est aussi le point de vue qu’il faut prendre, le pronom qu’il faut endosser en le substituant au « je » : c’est tout l’effort de Geert au cours de cette après-midi fatale, le « man » est le point et l’équilibre auquel il parvient, en partie par le moyen de la discussion avec son collègue, après avoir « mûrement pesé le pour et le contre » (p. 774) ; c’est le centre à partir duquel, malgré le coup qui l’atteint, il maîtrise sa vie, arrête le tournoiement (des photos sur l’abat-jour, des pensées, des sentiments). C’est le lieu où Instetten et Wüllersdorf se rencontrent de telle sorte qu’il n’y a plus rien à ajouter (la discussion se termine, p. 776, par un « signe de tête » de Instetten). Et le « man » est aussi le pronom qui caractérise, comme nous l’avons déjà signalé, le style de narration de Fontane (il serait intéressant d’observer, dans sa présentation des actions des personnages, les alternances du « ils » et du « on » dans le roman), de telle sorte que ce passage montre le narrateur réaliste et son personnage occupant la même place neutre, prenant le même point de vue sur la société.
Dans la mesure où il supplante le pronom « je », le choix du pronom « on » pose aussi, à partir du moment où il devient le critère du jugement et de l’action, la question du bonheur individuel. « C’en est fait du bonheur » pour toute la vie de Geert, juge froidement Wüllersdorf (p. 773). Et c’est un fait que reconnaît aussi Instetten lui-même (p. 774 : le bonheur lui est « ravi » ; « c’en est fait du vrai bonheur » ; « on n’a pas besoin d’être heureux »). Le bonheur, cette chose domestique, privée, est « perdu », « parti » (« hin ») ; mais ce qui se conserve par le moyen du duel, c’est la « considération », « l’honneur » (voir dans la tirade de Geert p. 774, l’emploi des pronoms « on », « nous », « chacun », la tirade se terminant sur un « je » – « je n’ai pas le choix. Je dois le faire » – qui n’est plus tout à fait celui de la p. 773 – « je ne sais pas... je suis infiniment malheureux... » – : c’est maintenant un « je » traversé ou longé par le « on »). La question du bonheur ou du moins des « humbles plaisirs de la vie » sera reprise dans la seconde discussion Instetten-Wüllersdorf (chap. XXXV). Surtout, l’impossibilité du bonheur pour Instetten, « l’impasse » (p. 775) dans laquelle il se trouve du fait de sa soumission au « on », au « quelque chose », font contraste avec le bonheur (la « paix ») que Effi trouve dans les derniers mois de sa vie à Hohen-Cremmen, dans les champs, sous le ciel, à l’air libre (opposable à « l’air » de la société, cette cellule) et dans la solitude (ou seule avec Rollo qui n’est pas un juge). Son moi se perd alors en se dilatant dans la nature, tandis que celui de Geert se contient en se soumettant au « on ».
(3 : « mit »)
Le « quelque chose–société » (difficulté de traduire le composé « Gesellschaftsetwas » ; Pierre Villain dit, p. 774 : « ce je ne sais quoi... fruit de la société ») peut se désigner enfin par le « mit », « cum ». L’homme n’est jamais seul ; et dans ce passage, Instetten n’est jamais seul avec son « malheur ». Il n’est pas seul au moment de la découverte des lettres (voir p. 770), et Johanna et Annie sont les premières « Mitwissenden », les premières à savoir-avec et à tâcher d’interpréter les signes (« As-tu vu la mine que papa faisait », p. 771). Instetten sortant de son domicile était allé chercher un « confident », « Mitwisser » (p. 775). Un seul « socius » est mis dans le secret (à savoir : Wüllersdorf ; voir p. 775 : « il reste que le secret est su de vous etc. »), et c’est comme si toute la société l’était, puisque chacun de ses membres représente métonymiquement le tout. Entre-temps, le « mit » est apparu aussi dans le texte allemand par le nom « Mitspielenden », « ceux qui ont joué-avec » la pièce de Wichert, et furent en quelque sorte des « complices » avant même que l’adultère ne devienne un fait. La scène et le public du théâtre ont préfiguré la scène sociale. Tout est scène : Geert imagine une sorte de petite comédie p. 775 (« s’il advient que, lors d’une quelconque affaire d’offense etc. ») avec aparté de Wüllersdorf.
C’est-à-dire que la possibilité décrite par Instetten p. 775 (« J’aurais dû mieux me dominer et me surveiller etc. ») n’existe sans doute même pas : rien n’échappe à l’instance de contrôle moral qu’est la société, que sont « les autres » (voir p. 782 dans un des rares moments de monologue intérieur : « il est curieux de voir le nombre de choses qui deviennent signes et se mettent à tout raconter, comme si tout le monde avait été témoin direct de ce qui s’est passé ». C’est Geert qui se parle, mais c’est aussi une profession de foi du romancier réaliste ; sur le thème « rien jamais ne peut rester cacher, enfoui », voir les poèmes « Les grues d’Ibykus » de Schiller ou « Les Cloches » d’Apollinaire). Ce que l’individu éprouve comme un coup du sort survenant « brusquement » (p. 775), était, du point de vue de la société, envisagé et anticipé. Tout manquement est écrit, le code pénal et d’autres codes non écrits contiennent à l’avance tous les « faux pas », et qu’on se batte en duel ou pas dans sa vie, il existe un « code des duels » qui nous attend. Le cas de Instetten n’est pas unique et inattendu : il en existe d’autres semblables, d’après lesquels s’est forgée la coutume à laquelle Instetten doit maintenant se conformer. Intéressant de ce point de vue le mot étranger « Paragraph » (traduit p. 774 par « articles » : « un je ne sais quoi qui existe bel et bien, et d’après les articles de quoi nous avons pris l’habitude de tout juger, les autres et nous-mêmes »). « Paragraphe » : ce qui est écrit à côté, comme un fatum permanent, comme un livre invisible accompagnant et surveillant la vie de chacun, le livre que chacun a intériorisé et auquel il se rapporte pour juger, soi-même et les autres (« ce que chacun s’est dit lui-même déjà cent fois », p. 774), le livre dont Instetten a récité un article devant Wüllersdorf : « Pardonnez-moi de faire devant vous ce cours [Vorlesung] », lui qui, étant donné le coup qui l’atteint, aurait pu tenir un tout autre langage (lamentations, pleurs, imprécations, etc.). Le livre (code, conventions) accompagne en effet chaque pas, chaque action (« on nous guette de partout », disait déjà Marietta Trippelli, p. 645). La société remplit la fonction du fatum, d’autant plus inexorable que c’est « nous-tous-avec ». Pas d’issue possible, donc, puisque chacun et tous sont les yeux de ce dieu. Wüllersdorf institué par Instetten « confident » (avant d’être institué « témoin » dans le duel) est une sorte de « Paragraph » ou de code vivant et ambulant (p. 775 : « le moindre mot... sera soumis à votre contrôle »). Il n’y a pas le « jenseits », « au-delà » (p. 771) que Crampas fait exister pour Effi (qui est attirée irrésistiblement par ce qui lui paraît « apart », sortant de l’ordinaire et du conventionnel). Dans la seconde conversation politique entre Instetten et Wüllersdorf, ce dernier ne parlera pas d’un au-delà ou « au-dehors » de la société, mais des « constructions attenantes », « Nebenkonsruktionen » (p. 823), qui ne la remettent pas en cause, mais la rendent sans doute, pour les individus, plus « respirable », détendent l’emprise du « mit », du lien politique.
Il y a un autre point par lequel le discours de Crampas dans les billets rejoint le débat entre Wüllersdorf et Instetten (Crampas, de toute façon, appartient au même monde que les deux collègues ; présent dans la discussion, il tirerait sans doute la même conclusion – voir cependant p. 780, et le débat intérieur de Instetten p. 781). Crampas parle dans le premier billet des « valeurs qui ne valent que par hasard » (p. 771), et Wüllersdorf parle p. 776 du « culte de l’honneur » comme ce à quoi « nous devons nous soumettre aussi longtemps que cette idole est vénérée ». Cette constatation de Wüllersdorf, à la fin de la discussion, suggère que les deux hommes, implicitement, ont dialogué aussi avec le texte des billets (que Crampas était donc, d’une certaine façon, présent) ; elle indique aussi que le code, avec ses « paragraphes », ne vaut qu’aussi longtemps que la société le fait valoir, qu’il peut changer avec l’évolution de la société (ou avec une « révolution sociale »). Cela n’a pas d’effet sur la contrainte dans laquelle est pris Instetten (tout homme vit dans son temps et dans sa société, et ne peut guère agir, surtout s’il est fonctionnaire pris dans la « carrière », en anticipant les règles que se donnera la société dans une autre époque de son développement), mais le roman de Fontane (c’est un aspect de son réalisme) montre pourtant aussi ces sortes d’évolutions souterraines et très lentes (mais parfois précipitées aussi par des révolutions : voir le thème de la « révolution sociale », p. 790). Par exemple, les parents de Effi réagissent dans un premier temps en se conformant au code en vigueur (p. 792 : « nous souhaitons... manifester au grand jour que nous condamnons... ton comportement »), et dans un second temps (voir p. 812 : « la société peut bien fermer les yeux sur quelque chose ») en bravant les conventions et, dans une certaine mesure, en anticipant l’évolution libérale et égalitaire des sociétés occidentales, la privatisation (dans une certaine mesure) des comportements (il est vrai qu’il serait facile de montrer qu’ils sont au contraire aujourd’hui, en 2008, entièrement prescrits et grégaires).
CONCLUSION
« Ging es, in Einsamkeit zu leben... », dit Geert, « s’il était possible de vivre dans la solitude... » (p. 774) mais cela « ne va pas ». L’homme est « animal politique ». Seuls les dieux, dit Aristote, ou les bêtes sauvages ne vivent pas dans le « avec », la « polis ». Il n’est pas possible de garder en soi (sauf à vivre en marge) un secret qui appartient d’emblée à la « polis », le culte de l’honneur étant de toute façon intériorisé et chacun étant pour soi-même une instance de contrôle. Il n’y a pas de « Verschwiegenheit » dit encore Instetten : pas moyen de taire, passer sous silence. Tout se dénonce, tout parle. La chose, le « cela », le malheur qui frappe Instetten se présente comme la chose intime par excellence, « unheimlich », bouleversante et cachée, à part, à côté : c’est ce que nous avons voulu montrer dans un premier temps. Mais, en réalité, la chose n’appartient jamais à une conscience isolée : elle est tout de suite traitée comme un cas, à objectiver de la façon la plus rationnelle possible. C’est ce que nous avons étudié dans un deuxième temps, où nous avons essayé de décrire et le « réalisme » de Instetten et celui du narrateur. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus aucun mystère. Au contraire, il y a un « cela » (que nous avons tâché d’analyser dans la troisième partie du commentaire), il y a un « grand jeu », autre que le « jeu » qui se joue dans les tréfonds de l’âme. Contrevenir aux règles de ce jeu social, « cela ne va pas », dit Instetten encore p. 774 (« dagegen zu verstoßen geht nicht »). Ce n’est pas tellement un interdit moral, ni une fatalité d’ordre divin. C’est la contrainte exercée par le « mit ». La rejeter reviendrait à se suicider, à se rejeter soi-même dans les « ténèbres extérieures », hors de la société dans l’enceinte de laquelle seulement l’homme est homme.
C’est cette espèce de « surmoi » qu’est la société, ce « quelque chose » qui s’est développé et a pris forme (« ausgebildet ») par nous, en nous et parmi nous, que Fontane, en fin de compte, veut montrer dans ce passage. C’est cela qui lui importe, cela qui est pour lui la chose à détecter, la « res » du réaliste : cette multitude de liens et de contraintes qui s’est, par le « vivre-ensemble », étendue à tout et à tous, et qui se rend sensible dans les moindres de nos actes ou de nos paroles. Et parallèlement le texte de Fontane (ce passage-ci et tout le roman) s’est élaboré de façon à être une image de cette « polis », à être « polis lui-même : tout y est « communicant », les détails et indices y sont liés entre eux de sorte à concourir à l’unité de l’ensemble, à converger en un point et à constituer ce « diamant » qu’admirait Thomas Mann. Il n’est guère un élément ou une partie du récit qui ne soient annoncés, puis rappelés, répétés, variés : c’est le cas des éléments qui constituent ce passage. Ils entrent en résonance avec d’autres (avec quasiment toutes les autres) scènes du récit, chapitre XXV par exemple en amont, chapitre XXXIV ou XXXV en aval. Le passage à commenter donne un exemple de cette réflexivité, de cette société que constituent les moments et les faits du récit, puisqu’il enferme des événements vieux de sept ans, et ramenés au jour par les billets de Crampas : il se rapporte et se lie à eux, il les actualise et ne les laisse pas être passés, « nuls et non avenus ».
La cohérence du roman de Fontane peut être admirée. Mais le réalisme ne serait pas conséquent s’il ne cherchait qu’à noter ce qui est, ce qui « se tient », ce qui « vaut ». Une société, même la plus stable en apparence, est toujours travaillée par des mouvements, des forces, le centre est menacé par la périphérie, l’autocratie par la démocratie, l’aristocratisme par le socialisme (voir les considérations de Mme Ziwcker p. 790). Ces coups de boutoir s’entendent, même si c’est sourdement, dans l’œuvre de Fontane. Dans l’extrait que nous avons commenté, les considérations finales de Wüllersdorf (« ... aussi longtemps que cette idole est vénérée. ») et l’acquiescement de Instetten peuvent surprendre de la part de deux hauts fonctionnaires représentant l’ordre et les codes établis. Mais ils préparent l’évolution de Geert après le duel et le divorce. Cette évolution, ce changement de point de vue, Fontane les note dans la seconde discussion entre les deux collègues (chapitre XXXV) : c’est – le jour où Gert reçoit et sa nouvelle nomination et la lettre maladroite et touchante de Roswitha – en réalité la même discussion (avec des termes et des expressions repris, par exemple p. 822 « dans le secret de mon cœur », « toutes les issues me sont fermées », « cela », etc.) dans des circonstances différentes. Le changement intérieur de Geert est parallèle à celui des parents de Effi, même s’il ne conduit pas à un revirement dans sa conduite. C’est une transformation de ses pensées, de sa « philosophie de la vie ». Cela ne changera plus rien à sa vie, ni à celle de Effi, mais cela témoigne de forces sociales à l’œuvre, souterraines et irrésistibles comme le « Schloon ».
Le « quelque chose » de Fontane n’est pas celui de Hardy. Le premier désigne le social lui-même, ce fait du « vivre-ensemble », l’interindividuel. Le second (dans le chapitre XXIV de Tess) désigne le singulier (le préindividuel), l’absent, l’abscons et l’absolu, qui produit tour à tour et aveuglément le malheur, le bonheur et le malheur à nouveau de Tess, sans avoir jamais cure d’elle. Sur le plan de la poétique : le « quelque chose » de Fontane constitue le texte comme texte : cohérent et lié ; celui de Hardy, en tant que pulsion « aveugle et muette », défait au contraire la narration et appelle un discours d’intervention du narrateur (de type métaphysique). Plus exactement, le « quelque chose » de Hardy parle une langue (celle de la « nature ») dont le récit ne peut recueillir le sens sans l’intervention explicite du narrateur, tandis que dans le roman de Fontane, « cela » parle la langue de la cité, cela parle par les plus insignifiantes paroles de chacun, dans cette conversation permanente (tacite ou loquace, fictive ou réalisée) qu’est la vie en société. Pour cette raison, le narrateur n’est pas poussé à se montrer sur le devant de la scène.
Ce n’est pas non plus le même « jeu », dans les deux romans : « Spiel » désigne dans le texte de Fontane soit le jeu que l’individu retiré dans son for intérieur pourrait jouer seul avec lui-même (le jeu « à côté », ou le jeu « adultère » de Effi et de Crampas), soit le jeu social des individus ensemble ; « sport » désigne, dans le dernier paragraphe de Tess, le jeu joué par le « prytane » avec les individus.
Et ce n’est pas enfin non plus la même « res » en cause dans les deux textes. De cette chose, le narrateur dit, dans Tess, que le laitier l’aurait « méprisée en homme pratique s’il en avait su la nature » : c’est le désir, le vouloir-vivre. C’est, dans le texte de Fontane, la considération sociale, qui fait que l’individu peut continuer à vivre, même au prix de son bonheur, dans la cité. L’une et l’autre chose répondent à la définition proposée par Hardy, et qui est aussi bien une définition du vouloir-vivre schopenhauerien : « a more stubborn and resistless tendency than a whole heap of so-called practicalities ».
Notes de bas de page numériques
Pour citer cet article
Philippe Marty, « Le « quelque chose » (« something », « etwas ») des romanciers réalistes », paru dans Loxias, Loxias 23, mis en ligne le 22 décembre 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2658.
Auteurs
Université de Nice