Loxias | Loxias 24 Pour une archéologie de la théorisation des effets littéraires des rapports de domination  |  Pour une archéologie de la théorisation des effets littéraires des rapports de domination 

Anthony Mangeon  : 

« Like Rum in the Punch » : le New Negro et la culture américaine

Résumé

La parution de l’anthologie du New Negro marque, en 1925, l’avènement de nouvelles générations d’artistes, d’écrivains et de penseurs sur la scène culturelle et intellectuelle des Etats-Unis. Mouvement interracial et interculturel, puisque ses auteurs sont noirs et blancs, américains, antillais et européens, le New Negro est également polyphonique et rassemble des textes et des œuvres de création aussi bien que des essais critiques, sociologiques, anthropologiques, historiques, pour remettre en perspective et en question les rapports de domination auxquels on a soumis le monde noir. Il s’ensuit une indéniable tension de l’identité culturelle entre d’une part, l’affirmation d’une singularité et, d’autre part, la revendication d’une intégration pleine et entière à la société américaine. Vouées à réfléchir et à s’opposer aux représentations et aux relations sociales dominantes, la littérature et la critique africaines-américaines se développent au cœur de cette tension et cherchent alors à défendre une nouvelle logique, celle du don, pour penser la construction culturelle.

Abstract

The publication, in 1925, of The New Negro anthology, edited par Alain Locke, marks the rising of new generations of artists, writers and thinkers on the cultural and intellectual scenes of the United States and the western world. An interracial and intercultural movement, The New Negro brings together black and white, American, Caribbean and European authors of literary pieces, but also of critical essays on arts and literature or in sociology, history and anthropology. It questions in different perspectives the domination exerted upon the black world, and reveals a contradictory cultural identity, torn between the need to affirm one’s singularity and the claim to a fully integration in American society. Bound to reflect and oppose the dominating social relations and representations, African American literature and critical thought flourish within that tension and emphasize a new social logic – the spirit of the gift – to think about cultural making-up.   

Index

Mots-clés : anthropologie , critique littéraire, culture, don, littérature africaine-américaine, réciprocité, stéréotypes

Plan

Texte intégral

Le mouvement « Nouveau Nègre » fut l’une des grandes avant-gardes des années vingt, qui eut pour capitale Harlem comme d’autres avaient Paris, Berlin ou Dublin. On a souvent présenté l’anthologie d’Alain Locke : The New Negro, An Interpretation (1925) comme « le manifeste de la Renaissance de Harlem » et « la bible de la négritude », mais ces labels restreignaient, de fait, la portée du mouvement et de son livre-phare. Cantonner le « New Negro » à un mouvement négriste dans un quartier de New York revient à ignorer, en effet, ses nombreuses ramifications, en Amérique et ailleurs, ainsi que la présence de plusieurs contributeurs blancs, américains ou européens ; y voir surtout un mouvement culturel conduit à négliger, par ailleurs, la participation de ses principaux acteurs à l’émergence de nouveaux paradigmes dans les sciences humaines et sociales. En croisant les approches disciplinaires, de récents travaux sont parvenus à mieux restituer la complexité de l’internationalisme noir, et ils révèlent ainsi la construction simultanée de nouvelles communautés historiques et de nouvelles démarches artistiques ou scientifiques1. Dans cette perspective, j’espère contribuer au programme du Centre Transdisciplinaire d’Epistémologie de la Littérature, et notamment à « la théorisation des effets littéraires des rapports de domination » initiée par l’équipe Littérature et communauté, en présentant rapidement le mouvement nouveau nègre, son école critique, et la manière paradoxale dont il a repensé et reconstruit l’identité africaine-américaine.

Par son prédicat, le « Nouveau Nègre » dit une rupture ; celle-ci s’articule sur les mutations qui affectent les rapports entre majorité blanche et minorité noire dans la société américaine, au tournant du vingtième siècle.

Après la Guerre Civile et l’Abolition, la période de la Reconstruction est en effet marquée par l’émergence simultanée des premières universités noires (Atlanta, Fisk, Howard, Oberlin, Hampton, Tuskegee…) et des pratiques ségrégationnistes (lois Jim Crow) qui vont profondément infléchir la destinée sociale des Africains-Américains. Ce contexte crée de nouveaux enjeux pour les deux générations nées après l’esclavage : celle du « Talented Tenth », selon l’expression forgée par William E.B. Du Bois pour désigner l’élite noire2, et celle des « New Negroes », selon l’expression d’Alain Locke3. Grâce à une formation très largement pluridisciplinaire voire transnationale, leurs représentants incarnent bientôt une figure totalement inédite dans le monde occidental. Revendiquant ouvertement leur statut d’« intellectuels nègres », ils s’assument en effet comme un paradoxe puisqu’ils ont certes en partage une grande exigence de rigueur ou d’universalité, mais également un profond attachement à l’identité culturelle noire, née d’une singulière expérience de dépossession, de résistance et d’assimilation. Sur le plan conceptuel, cela les conduit à s’approprier les disciplines ou plus largement, les pratiques discursives occidentales pour comprendre, décrire et transformer les rapports de domination entre monde blanc et monde noir. Dans la lignée de William James et de son pragmatisme, qui voulaient qu’on expurge de chaque théorie sa « valeur au comptant » (practical cash-value) en appréciant quels usages et quelles différences elle introduit dans l’expérience4, les penseurs africains-américains empruntent de nombreuses notions à la philosophie, à la psychologie ou à la sociologie européennes. À titre d’exemple, lisons comment Du Bois théorise les effets de la domination sur la construction de son identité, à l’aube du vingtième siècle, dans The Souls of Black Folk :

Then it dawned upon me with a certain suddenness that I was different from the others ; or, like, mayhap, in heart and life and longing, but shut out from their world by a vast veil. [...] The Negro is [...] born with a veil, and gifted with second-sight in this American world – a world which yields him no true self-consciousness, but only lets him see himself through the revelation of the other world. It is a peculiar sensation, this double-consciousness, this sense of always looking at one’s self through the eyes of others, of measuring one’s soul by the tape of a world that looks on in amused contempt and pity. One ever feels his two-ness, an American, a Negro ; two souls, two thoughts, two unreconciled strivings ; two warring ideals in one dark body [...]. The history of the American Negro is the history of this strife – this longing to attain self-conscious manhood, to merge his double self into a better and truer self. In this merging he wishes neither of the older selves to be lost. [...] He simply wishes to make it possible for a man to be both a Negro and an American5.

Pour définir sa double conscience, Du Bois s’inspire d’abord des travaux philosophiques de William James, dont il avait suivi les cours à Harvard. En commentant les expériences d’hypnose que Pierre Janet avait conduites auprès de malades mentales et rapportées dans un livre sur L’Automatisme psychologique (1889), James avait en effet établi la coexistence, chez certaines personnes, de plusieurs personnalités avec des niveaux différents de conscience. James et Janet distinguaient ainsi la conscience primaire, qui possède certains attributs sensoriels, mémoriels, affectifs, et la conscience secondaire, complètement dissociée de la primaire et possédant d’autres attributs ; il existait enfin une conscience tertiaire, plus profondément enfouie, qui, lorsque les patients parvenaient à l’atteindre (par la transe ou par l’hypnose), possédait quant à elle tous les attributs et rétablissait, par conséquent, l’unification des différentes personnalités. Ainsi,

In certain persons at least, the total possible consciousness may be split into parts which coexist, but mutually ignore each other and share the objects of knowledge between them, and – more remarkable still – are complementary6.

Avec la « double conscience », Du Bois offre donc plus qu’une simple description littéraire des effets de la domination ; il nous indique quelle voie s’ouvre au sujet divisé pour tenter d’échapper à sa situation. Mais dans le même temps, il lui associe la notion de « voile », empruntée cette fois au philosophe et sociologue allemand Georg Simmel, lequel utilisait cette métaphore pour théoriser l’importance d’autrui et de son regard dans les relations sociales et la construction de l’identité :

Nous sommes tous des fragments, non seulement de l’autre, mais de nous-mêmes. [...] Mais le regard de l’autre complète cet aspect fragmentaire pour former ce que nous ne sommes jamais totalement et uniquement. [...] La base vitale commune donne naissance à certaines hypothèses à travers lesquelles on se voit mutuellement comme à travers un voile. Bien sûr, la singularité de la personne n’est pas purement et simplement voilée, mais dans la mesure où son existence tout à fait individuelle et concrète se fond avec cet a priori en une unité, ce voile lui donne une forme nouvelle. [...] Partout la généralisation sociale voile les traits de la réalité7.

J’ai développé ailleurs comment Alain Locke s’était à son tour approprié la psychologie sociale de Gabriel Tarde et la sociologie interactionniste de Georg Simmel, notamment ses « formes a priori de la socialisation » (comme la généralisation, mentionnée ci-dessus, mais également l’inégalité et la fidélité) pour penser et défendre tout à la fois la promotion d’un nouveau type social (le « Nouveau Nègre ») et la nécessité d’un nationalisme culturel chez les Africains-Américains8. Mais s’il semble important de souligner un tel processus d’infléchissement, qui conduit à user des disciplines sur un « mode mineur » – au sens où Deleuze et Guattari parlaient d’une « littérature mineure » pour désigner les productions d’une minorité dans la langue d’une majorité9 – il conviendrait en retour d’étudier plus avant comment les penseurs africains-américains ont pu influencer, sinon précéder certains penseurs américains et européens dans leurs réflexions sur les formes de domination ou les contacts de culture10. En guise de contribution, je voudrais à présent esquisser les grandes options critiques et méthodologiques des « Nouveaux Nègres ».

Les travaux qui, en France, abordent l’histoire du New Negro, omettent souvent deux faits d’importance. D’abord, le constat – pourtant frappant – que cette anthologie n’était pas que de littérature : venus de divers horizons – hommes et femmes, noirs et blancs, américains, antillais et européens – ses contributeurs offraient certes des poèmes et des fictions, mais aussi d’importants essais critiques dans diverses disciplines (histoire, sociologie, anthropologie) et sur divers objets (les arts, la littérature, mais également l’éducation, la religion, la vie urbaine et les relations internationales). Élégamment illustré par Winold Reiss, Aaron Douglas et Miguel Covarrubias – trois artistes respectivement allemand, africain américain et mexicain – le livre contenait également plusieurs reproductions d’œuvres ou de partitions, ainsi que d’abondantes bibliographies et discographies compilées par Locke lui-même qui signait en outre quatre essais sur l’art, la musique, la poésie et l’esprit du Nouveau Nègre. Les crédits (acknowledgements) et les copyrights révélaient une autre caractéristique majeure : s’il était l’œuvre d’un exceptionnel coordinateur, le New Negro manifestait surtout la collusion de divers réseaux culturels, politiques et éditoriaux, et il incarnait ainsi leur foi commune dans l’ingénierie sociale ou le rôle moteur dévolu aux arts, à la littérature et aux sciences sociales dans l’expression et la transformation des mentalités. Piloté par des intellectuels formés à la sociologie (W.E.B. Du Bois, Charles S. Johnson et Alain Locke), le mouvement Nouveau Nègre est donc conçu en termes explicitement stratégiques. Car si la littérature témoigne d’une « nouvelle psychologie », d’un « nouvel esprit » qui « échappe à la surveillance et à la vigilance des statistiques » mais qui « s’éveille dans les masses » et « vibre dans la jeune génération »11, les essais expriment quant à eux deux principaux soucis : d’abord, une attention soutenue aux modulations de l’opinion publique, et notamment aux variations des représentations artistiques ou littéraires ; ensuite, une volonté de comprendre et de situer le mouvement « Nouveau Nègre » dans le cadre plus vaste des relations de races et de cultures, à l’échelle nationale et internationale. Le projet critique est donc bien double, qui veut, d’une part, élaborer une approche sociologique, voire anthropologique de la littérature ; et participer d’autre part à l’émergence, dans les sciences sociales, de nouveaux paradigmes mieux à même de comprendre et de transformer les diverses formes de domination et d’inégalité historiquement subis par les Nègres d’Amérique, des Antilles et de l’Afrique.  

Après l’anthologie du New Negro, c’est un véritable programme de recherches imagologiques qu’esquisse Alain Locke dans un article de 1926 :

I doubt if there exists any more valuable record for the study of the social history of the Negro in America than the naïve reflection of American social attitudes and their changes in the literary treatment of Negro life and character. [...]

With allowances for generalization, so far as literature records it, Negro life has run a gamut of seven notes, – heroics, sentiment, melodrama, comedy, farce, problem-discussion and aesthetic interest – as, in their respective turns, strangeness, domestic familiarity, moral controversy, pity, hatred, bewilderment, and curiosity, have dominated the public mind. Naturally very few of these attitudes have been favorable to anything approaching adequate or even artistic portrayal ; the Negro has been shunted from one stereotype into the other, but in this respect has been no more the sufferer than any other subject class, the particular brunt of whose servitude has always seemed to me to consist in the fate of having their psychological traits dictated to them. Of course, the Negro has been a particular apt social mimic, and has assumed protective coloration with almost every change – thereby hangs the secret of his rather unusual survival. But of course a price has been paid, and that is that the Negro, after three hundred years of residence and association, even to himself, is falsely known and little understood. It becomes all the more interesting, now that we are verging for the first time on conditions admitting anything like true portraiture and self-portrayal to review in retrospect the conditions which have made the Negro traditionally in turn a dreaded primitive, a domestic pet, a moral issue, a ward, a scapegoat, a bogey and pariah, and finally what he has been all along, could he have been seen that way, a flesh and blood human, with nature’s chronic but unpatented varieties.

[...] He has dramatized constantly two aspects of white psychology in a projected and naïvely divorced shape – first, the white man’s wish for self-justification, whether he be at any given time anti-Negro or pro-Negro, and second, more subtly registered, an avoidance of the particular type that would raise an embarrassing question for the social conscience of the period : as, for example, the black slave rebel at the time when all efforts were being made after the abatement of the slave trade to domesticate the Negro ; or the defeatist fiction types of 1895-1920, when the curve of Negro material progress took such a sharp upward rise. [...] This sort of reflection [...] is really more significant as an expression of “unconscious social wish” [...]. Except in a few outstanding instances, literature has merely registered rather than moulded public sentiment on this question12.

J’ai cité longuement cet essai car il contient selon moi les grandes lignes et les principales hypothèses du travail critique que développeront conjointement Alain Locke et Sterling Brown.

On note tout d’abord une étroite corrélation entre les rapports sociaux et les (auto)représentations littéraires, qui préfigure les analyses de Pierre Bourdieu sur la domination symbolique13 et celles d’Homi Bhabha sur le mimétisme social en situation coloniale14. Se trouvent ainsi soulignées la force et l’ambivalence des stéréotypes : ils ne sont pas nécessairement négatifs, et leurs conversions (de la négativité à la positivité, ou vice versa) manifestent les mutations des rapports de domination plutôt qu’une reconnaissance ou une revalorisation des catégories dominées15. Une telle prolifération contribue à perpétuer, de fait une « invisibilité » bien mise en relief par Ralph Waldo Ellison dans son fameux roman, Invisible Man (1952). Mais le fait que les stéréotypes mobilisés soient avant tout les rationalisations d’un inconscient social et de ses obsessions, sur le mode du tabou ou de la culpabilité, confère paradoxalement un puissant rôle à la littérature. Si elle « enregistre », elle peut également « modeler », suggère Locke, et faire ainsi advenir des figures résolument plus complexes que les catégorisations simplistes dans lesquelles on cherche à les enfermer, ou mettre en scène les effets dévastateurs de la domination – sociale, culturelle, symbolique – sur les psychés et les relations entre majorité et minorité16. La nécessité est donc double, d’une écriture de soi qui soit pleinement consciente et critique des représentations littéraires dominantes, et d’une réflexivité qui participe à une meilleure compréhension des rapports sociaux et du rôle de reconduction ou de reconstruction qu’y peut jouer la littérature.

The greatest obstacles to social peace and goodwill are the obsolete superstitions and outworn stereotypes than on both sides still cloud our social thinking and warp our social reactions in race relations in America. But these cannot persist side by side with the enlightenment that must come when the Negro capitalizes himself at his best, and that best is widely known and appreciated17.

Les activités critiques de Locke et de Brown vont dès lors se développer à plusieurs niveaux : les deux auteurs feront paraître, dans des revues académiques, mais également dans des collections éditoriales destinées à un large public18, des essais de synthèse axés sur l’histoire littéraire et culturelle ; par ailleurs, ils publieront, dans des magazines grand public, un très grand nombre de notes de lecture, voire des synthèses annuelles sur les tendances et mutations à l’œuvre dans les lettres et les sciences humaines et sociales19. Parmi les 139 articles et recensions que j’ai pu collecter dans les archives d’Alain Locke20, les essais et les livres les plus significatifs sont, pour mon propos : « American Literary Tradition and the Negro » (The Modern Quarterly, 1926) ; « The Negro’s Contribution to American Art and Literature » (Annals of the American Academy of Political and Social Science, n°140, 1928), « Jingo, Counter-Jingo and Us » (Opportunity, janvier et février 1938) ; « The Negro’s Contribution to American Culture » (The Journal of Negro Education, juillet 1939), et une série de six conférences délivrées et publiées en Haïti en 1943 sous le titre Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques. Et parmi la centaine d’essais, de recensions, et les cinq ouvrages critiques de Sterling Brown, nous pouvons retenir « Our Literary Audience » (Opportunity, février 1930), « A Literary Parallel » (Opportunity, mai 1932) « The Negro Character as Seen by White Authors » (Journal of Negro Education, avril 1933), « The American Race Problem as Reflected in American Literature » (Journal of Negro Education, juillet 1939) ; « The Negro Writer and his Publisher » (The Quarterly Review of Higher Education Among Negroes, juillet 1941), « The New Negro in Literature, 1925-1955 » (The New Negro Thirty Years After, Washington, Howard University Press, 1955), The Negro in American Fiction (Washington, Associates in Negro Folk Education, 1937), et The Negro Caravan (New York, The Dryden Press, 1941).

Soucieux de reprendre l’histoire littéraire américaine à partir des figures du personnage et de l’écrivain nègres, ces divers textes manifestent de nombreuses convergences. Leur approche sociologique de la littérature conduit Locke et Brown à réfléchir sur la configuration du champ littéraire américain, depuis son mainstream jusqu’à ses marges, et ils dressent ainsi d’intéressants constats. En effet, par-delà l’opposition classique entre maiores et minores, le champ littéraire apparaît structuré par la tendance des écrivains à reconduire ou à refuser les stéréotypes dominants à l’encontre des Noirs. On peut ainsi retrouver, indifféremment distribués chez les grands auteurs américains et leurs obscurs rivaux ou épigones, un certain nombre de représentations communes que Sterling Brown énumère ainsi, avant de les étudier en détail chez divers auteurs :

The majority of books about Negroes merely stereotype Negro character. [...] To point the prevalence of history of these stereotypes, those considered important enough for separate classification, although overlappings do occur, are seven in number : (1) The Contented Slave, (2) The Wretched Freeman, (3) The Comic Negro, (4) The Brute Negro, (5) The Tragic Mulatto, (6) The Local Color Negro, and (7) The Exotic Primitive21.

Il s’ensuit que d’un siècle à l’autre, certaines traditions perdurent, sous-jacentes aux ruptures de l’histoire et aux changements des écoles littéraires. Ces continuités sont essentiellement la nostalgie de la plantation, le régionalisme, le primitivisme, la folklorisation des noirs et l’obsession du métissage. Dans les années trente, par exemple, « the cabin was exchanged for the cabaret but the old mirth was still inside », d’autant que de nombreux jeunes auteurs nègres (le jamaïcain Claude McKay, le poète noir américain Countee Cullen) proclament un paganisme et un primitivisme de bon aloi22.

La récurrence de ces tendances, alliée à la prégnance de certaines représentations, participe donc d’un autre effet de la domination, à savoir l’influence de la réception sur la production littéraire africaine-américaine : les stéréotypes et les grands thèmes de la littérature américaine fonctionnent en effet à l’instar du voile dont parlait Du Bois, et les auteurs noirs sont ainsi conduits à intégrer le champ littéraire en faisant des concessions ou en s’opposant aux représentations dominantes23. Le problème est d’autant plus épineux que les écrivains nègres sont confrontés à une double audience, comme le souligne Sterling Brown :

The Negro author faces two audiences, the white American reader conditioned by the Pages and the Allens [...] ; and the Negro audience, equally conditioned by and liking the popular magazine characters and at the same time demanding that Negro writers produce a more complimentary picture of Negro life24.

La réception des écrivains nègres est donc informée, de part en part, par la question raciale : basée sur la distinction entre noirs et blancs, elle est de surcroît sujette à des horizons d’attente idéologiquement contradictoires, y compris au sein du même groupe. Brown fait notamment allusion à un désir de compensation, qui réduit la littérature nègre à n’être qu’une contre-propagande, c’est-à-dire, en termes foucaldiens, un simple discours « en retour ». Cette question fut au cœur des débats critiques sur la littérature nègre, et elle divisa les écrivains et intellectuels noirs en deux camps : ceux qui jugeaient que la littérature et l’art nègres avaient pour fonction première de contrer le racisme ambiant, et qu’ils devaient conséquemment offrir une image positive des noirs en se concentrant sur l’élite sociale et intellectuelle ; ceux qui arguaient que la littérature nègre devait être avant tout réaliste, et donc représenter la minorité noire dans toutes ses composantes sociales, populaires et bourgeoises, et sous tous ses aspects, « bons » ou « mauvais ».

Ce débat sur les rapports entre littérature et propagande fut initié par Du Bois, dans un fameux article de 1926 où il prévenait la jeune génération des écrivains noirs contre les dangers « de l’art pour l’art », qui risquait d’ignorer voire de conforter la force des préjugés anti-nègres :

It is the bounden duty of black America to begin this great work of the creation of beauty, of the preservation of beauty, of the realization of beauty, and we must use in this work all the methods that men have used before. And what have been the tools of the artist in times gone by ? First of all, he has used the truth. [...] The apostle of beauty thus becomes the apostle of truth and right not by choice but by inner and outer compulsion. Free he is but his freedom is bounded by truth and justice [...]. Thus all art is propaganda and ever must be, despite the wailing of the purists. I stand in utter shamelessness and say that whatever art I have for writing has been used always for propaganda for gaining the right of black people to love and enjoy. I do not care a damn for any art that is not used for propaganda. But I do care when propaganda in confined to one side while the other is stripped and silent25.

Du Bois et Jessie Fauset accusaient souvent, dans leurs recensions, les écrivains et artistes qui s’intéressaient au monde noir – qu’ils fussent nègres (tels Claude McKay, Jean Toomer, Bruce Nugent, Wallace Thurman) ou blancs (tels Winold Reiss ou Carl Van Vechten) – d’en proposer une image négative ou insuffisamment respectueuse. Alain Locke réagit dès 1925 en dénonçant, chez « certains Philistins », « A half-caste psychology [which] distorts all true artistic values with the irrelevant social values of “representative” and “unrepresentative”, “favourable” and “unfavourable” — and threatens a truly racial art with the psychological bleach of “lily-whitism” »26. Au ton polémique de Locke, Brown préférera le détachement et l’ironie mordante, pour aboutir à la même réfutation :

It is natural that when pictures of us were almost entirely concerned with making us out to be either brute or docile housedogs, i.e., infra-human, we should have replied by making ourselves out superhuman. It is natural that we should insist that the pendulum be swung back to its other extreme. Life and letters follow the law of the pendulum. Yet, for the lover of truth, neither extreme is desirable. [...] This is not a disagreement with the apologistic belief in propaganda. Propaganda must be counterchecked by propaganda. But let is be found where it should be found, in books explicitly propagandistic, in our newspapers, [...] in the teaching of our youth that there is a great deal in our racial heritage of which we may be justly proud. Even so, it must be artistic, based on truth, not on exaggeration. [...] Since we need truthful delineation, let us not add every artist whose picture of us may not be flattering to our long list of traducers. [...] As a corollary to the charge that certain books “aiming at representativeness” have missed their mark, comes the demand that our books show our “best”. Those who criticize thus want literature to be “idealistic” ; to show them what we should be like, or more probably, what we should like to be. [...] It is sadly significant also, that by “best” Negroes, these idealists mean generally the upper reaches of society, i.e., those with money.

Porgy27, because it deals with Catfish Row, is a poor book for this audience ; [...] The Walls of Jericho28, where it deals with a piano mover, is a poor book. In proportion as a book deals with our “better” class it is a better book.

According to this scale of values, a book about a Negro and a mule would be, because of the mule, a better book than one about a muleless Negro ; about a Negro and a horse and buggy a better book than about a mule owner ; about a Negro and a Ford, better than about the buggy rider ; and a book about a Negro and a Rolls Royce better than one about a Negro and a Ford. [...] Unfortunately, this economic hierarchy does not hold in literature. It would rule out most of the Nobel prize winners29.

Ce sont finalement des positions « figées » car déterminées par les discours hégémoniques dans le champ littéraire que Brown et Locke remettront constamment en question à travers leurs essais30.

A minority apologist who overcompensates or turns to quackish demagoguery should be exposed, but the front trench of controversy which he allowed to become a dangerous salient must be re-manned with sturdier stuff and saner strategy. [...] It is a matter of keen regret that much of the cultural racialism of the “New Negro” movement was choked in shallow cultural soil by the cheap weeds of group flattery, vainglory and escapist emotionalism. [...] As the movement became a fad the taint of exhibitionism and demagoguery inevitably crept in. [...] But a sounder cultural racialism would have avoided these pitfalls, would have aimed at folk realism and the discovery of basic human and social denominators to be thrown under the numerators of racial particularities for a balanced and factorable view of our group life, and in my judgment a second generation of Negro writers and artists, along with their white collaborators, are well on the way toward such a development. Some of them are writers like Langston Hughes, Zora Neale Hurston, Arna Bontemps, Sterling Brown, whose life bridges both generations, while others, like Richard Wright [...] belong entirely to the younger generation31.

Ces critiques de la « compensation » et de « l’exhibitionnisme » sont à rapprocher des concepts élaborés par l’ethnologue Gregory Bateson, dans un article de 1935 consacré aux effets interactifs du contact culturel32. En réponse au Mémorandum pour l’étude de l’acculturation rédigé par les anthropologues Melville Herskovits, Ralph Linton et Robert Redfield, Bateson avait en effet voulu souligner l’existence d’un « processus de différenciation progressive », qu’il appelait schismogenèse. Manifestant une « tendance » naturelle, chez les êtres humains comme chez les autres mammifères, « à s’engager dans des séquences d’interaction cumulative »33, ce processus pouvait se réduire formellement à

Deux classes d’interaction sociale où les actes de A sont des stimuli pour les actes de B, qui deviennent, à leur tour, des stimuli pour une action plus intense de la part de A, et ainsi de suite, A et B étant des personnes agissant soit en tant qu’individus, soit en tant que membres d’un groupe. [...]

a) schismogenèse symétrique, les actions de A et de B, se stimulant mutuellement, sont essentiellement similaires — cas de compétition, de rivalité, etc. ;

b) schismogenèse complémentaire, les actions qui se stimulent réciproquement sont essentiellement dissemblables, mais réciproquement appropriées : domination et soumission, assistance et dépendance, exhibitionnisme et voyeurisme, etc.34.

Dans les critiques qu’adressent Locke et Brown aux productions littéraires nègres qui tantôt se conforment aux attentes exotiques du public blanc, et tantôt répondent au besoin de riposte du public noir, on trouve de fait une égale défiance à l’encontre de la différenciation symétrique (ou l’interaction cumulative comme surcompensation) et de la différenciation complémentaire (avec notamment la condamnation explicite de l’exhibitionnisme)35. Par la suite, Locke approfondira ses analyses de l’interaction majorité/minorité, pour souligner leur structuration mutuelle, l’interconnexion de leurs attitudes respectives et l’oscillation constante des dominés entre « l’acceptation ou l’obséquiosité » et « la résistance passive ou la révolte cachée »36. Locke corrobore ainsi le modèle schismogénétique de Bateson, tout en le raffinant. S’il constate en effet la mise en place de structures dualistes, et s’il confirme la prédominance de la différenciation complémentaire que Bateson soulignait dans « les relations entre Noirs et Blancs »37, il refuse dans le même temps d’envisager une spécialisation immuable des deux groupes dans leurs attitudes « complémentaires ». Dans cette perspective, il réintroduit des facteurs de variation dans la théorie schismogénétique, tels que le paramètre individuel, le paramètre générationnel, ou le paramètre sociologique38. Par ailleurs, il s’intéresse beaucoup plus sérieusement que l’anthropologue anglais à la réalité culturelle des processus de réaction ou d’auto-affirmation concurrentielle : il sait en effet reconnaître, dans la différenciation symétrique, une « avancée » ou une « percée » [a salient] qui permet de transgresser la « frontière » psychologique et sociologique39. Mais surtout, le mouvement culturel africain-américain ne se réduit pas, pour lui, à une simple réaction identitaire ; il manifeste plutôt l’interaction et l’influence réciproque entre majorité et minorité. « It is a fallacy that the overlord influences the peasant and remains uninfluenced by him »40, soulignera-t-il à plusieurs reprises. Au rebours des politiques d’hégémonie et de domination culturelle, qui ne peuvent se réaliser que par la violence et ne récoltent, en retour, qu’une réplique tout aussi sinon plus violente, Locke insiste sur la coopération, ou sur les « échanges et ces interactions culturelles qui sont vitaux au processus »41. Il formule ainsi, dès 1930, un principe de « libre échange et de réciprocité culturelle » qui participe d’une nouvelle logique d’interaction sociale :

Do away with the idea of proprietorship and vested interest, – and face the natural fact of the limitless interchangeableness of culture goods [sic], and the more significant historical fact of their more or less constant exchange. [...] We are in a new era of social and cultural relationships once we root up this fiction and abandon the vicious practice of vested proprietary interests in various forms of culture, attempting thus in the face of the natural reciprocity and our huge indebtedness, one to the other, to trade unequally in proprietary and aggressive ways. [...] To summarize, the progress of the modern world demands what may be styled “free-trade in culture”, and a complete recognition of the principle of cultural reciprocity. Culture-goods, once evolved, are no longer the exclusive property of the race or people that originated them. They belong to all who can use them ; and belong most to those who can use them best. But for all the limitless exchange and transplanting of culture, it cannot be artificially manufactured ; it grows42.

En mettant l’accent sur la réciprocité, Locke favorise un modèle relationnel qu’à la suite d’autres anthropologues43, Bateson savait identifier dans certaines sociétés non-occidentales, mais qu’il jugeait profondément menacé par la diffusion exponentielle des modèles schismogénétiques, conséquence directe de l’expansion coloniale européenne. On peut ainsi constater une divergence majeure entre Locke et lui : en 1942, Bateson finit en effet par affirmer que « puisqu’on retrouve nettement ces trois motifs [domination-soumission, exhibitionnisme-voyeurisme, assistance-dépendance] dans toutes les cultures occidentales, les possibilités d’une différence internationale sont limitées aux proportions et aux façons dont on peut les combiner »44 ; quant à la politique coloniale, elle doit, selon lui, soit se résoudre par une « fusion totale » — c'est-à-dire par l’assimilation – soit se solder par une négociation machiavélienne où « les possibilités de schismogenèse dans le système doivent se compenser, s’équilibrer convenablement entre elles », — et s’apparenter ainsi à un séparatisme déguisé plus qu’à une véritable intégration45. À l’opposé, Locke juge éminemment nécessaire, à la même époque, de pratiquer, encourager et reconnaître la réciprocité à l’intérieur même des contextes schismogénétiques. Il y a là une subtile ironie à proposer, comme alternatives aux modèles occidentaux, des formes relationnelles caractéristiques des sociétés dites « archaïques », mais le constat est historiquement et culturellement sans appel :

Cultural contact on a more or less equilateral basis is productive of results far more stable and constructive than those produced by the characteristically unilateral contacts and policies of European imperialism. [...] European imperialism has been supported by, or rather has generated a particularly advantageous official philosophy, a colonial-mindedness, assuming very typically the attitude of cultural superiority [...]. It is this predominant and now chronic attitude which has stood in the way of much reciprocity of cultural exchange between European and non-European peoples. [...] Modern policy and attitude shuts this door, and leaves only a few indirect openings for the counter-influence of divergent cultures, through the chinks of fashion, exotic curiosity and occasional movements of literary, artistic and intellectual interest46.

D’autres relations doivent être donc privilégiées, et la littérature et les sciences humaines et sociales ont ici un rôle déterminant à jouer, comme ne cessera de le souligner Locke dans ses recensions critiques.

Pour mieux défendre la réciprocité, Locke filait en outre, comme le lecteur l’a sans doute remarqué, une étrange métaphore financière : il rejetait en effet l’idée de « propriété culturelle sans partage », et ces intérêts afférents que tout emprunt serait contraint de lui verser, pour célébrer à rebours un « libre-échange » des biens et des cultures. Dans d’autres essais, déjà cités, on trouve de semblables analogies : contre les fluctuations de la négrophilie, qu’il assimile à une pure spéculation sur les valeurs de l’exotisme, du primitivisme et de l’exhibitionnisme, Locke préconise une solide « capitalisation »47, et c’est dans cette perspective qu’il initie une pratique novatrice : la « retrospective review ».

De 1928 à 1942 dans la revue Opportunity, puis de 1947 à 1953 dans la revue Phylon, Locke publie ainsi près de vingt recensions générales, où il tâche de reprendre  l’essentiel des publications à propos ou issues du monde noir (africain, antillais, africain-américain) pour en dégager les grandes orientations littéraires et épistémologiques, dans les lettres et les sciences humaines48. Ses remarques critiques portent tout autant sur les représentations du monde africain dans la « nouvelle littérature coloniale » qui s’écrit par exemple sous la plume de René Maran, de Lucie Cousturier ou des frères Jérôme et Jean Tharaud que sur les travaux d’africanistes chevronnés comme Maurice Delafosse ou Melville Herskovits ; autant sur les poètes(ses) et romancier(e)s africain(e)s-américain(e)s que sur leurs congénères qui développent un discours savant (qu’il s’agisse d’essais critiques, sociologiques, historiques, économiques…) ; autant sur la littérature américaine, quand elle traite des Nègres (à l’instar d’Erskine Caldwell, de William Faulkner ou de Julia Peterkin) que sur la littérature antillaise, en particulier jamaïcaine et haïtienne, ou sur la littérature africaine francophone, alors en gésine. Et la méthode est exemplaire, qui porte un regard de Janus sur la production littéraire et scientifique : un œil dans le rétroviseur, pourrait-on dire, qui considère le chemin parcouru, et l’autre sur la route à suivre, qui anticipe déjà le prochain tournant ; chacune des recensions, en s’ajoutant aux autres, permet ainsi de montrer la convergence des littératures entre elles, ou bien révèle les soubassements épistémologiques des développements critiques ou théoriques. Sont systématiquement commentés les penseurs qui soulignent les interactions et influences réciproques et qui remettent ainsi en question les dualismes, oppositions et autres hiérarchies sociales ou culturelles justifiées par un discours essentialiste. Locke met notamment en valeur les travaux d’Eric Williams, d’Abram Harris, de Ralph Bunche, d’Ezra Franklin Frazier, de Charles S. Johnson – autant de spécialistes nègres des sciences sociales, partisans d’un relationnisme qui se refuse à séparer la question nègre des problèmes généraux de l’économie et de la société ; et il soutient constamment l’interactionnisme des anthropologues culturels, tels Franz Boas ou Melville Herskovits, qui mirent très tôt l’accent sur les contacts de culture et les phénomènes d’adaptation, d’adoption, d’échange et de réinterprétation.    

À travers ses recensions rétrospectives, Locke ne cesse de (re)configurer le « New Negro » comme étant tout à la fois un mouvement culturel et une école critique en phase avec les développements de la littérature, de l’anthropologie et de la sociologie en Amérique et en Europe. Par là même, il contribue à redéfinir l’identité africaine-américaine comme un paradoxe.

Dans The Souls of Black Folk (1903), Du Bois avait défini l’identité noire comme une double conscience et souligné, en conclusion, la contribution majeure de son peuple à l’histoire culturelle, sociale et économique de l’Amérique.

Your Country ? Have came it yours ? [...] Here we have brought our three gifts and mingled them with yours : a gift of story and song – soft, stirring melody in an ill-harmonized and unmelodious land ; the gift of sweat and brawn to beat back the wilderness, conquer the soil, and lay the foundations of this vast economic empire two hundred years earlier than your weak hands could have done it ; the third, a gift of the Spirit. [...] Nor has our gift of the spirit been merely passive. Actively we have woven ourselves with the very warp and woof of this nation [...]. Would America be America without her Negro people ?49.

Prolongeant cette logique du don mise en relief par Du Bois, Locke insista sur la réciprocité culturelle pour défendre à son tour une définition oxymorique de l’identité nègre. Dans son essai The Negro’s Contribution to American Culture (1939), il souligne en effet la singularité nègre et, simultanément, l’intrication et la « fertilisation réciproque » (« cultural cross-fertilization ») des héritages africains et européens. Les « produits culturels nègres » sont alors définis, dans une curieuse alliance de mots, comme des « hybrides distincts » (« distinctive hybrids »), issus d’un métissage culturel (« culturally “mulatto” ») mais avec des « accentuations particulières sur certains éléments communs aux Noirs et aux Blancs » (« overtones to certain fundamental elements of culture common to white and black »)50. S’ensuivent deux conséquences paradoxales, puisque d’un côté « what we style typically or characteristically “Negro”, culturally speaking » n’est jamais qu’une nouvelle version ou dérivation singulière de la culture américaine, sur le mode du « cultural coumpounding and variation which has produced what we style “American” out of what was historically and basically English or Anglo-saxon »51, tandis que de l’autre, ce qu’on juge « typiquement américain » est toujours déjà ou également nègre :

what is distinctively Negro in culture usually passes over by rapid osmosis to the general culture, and often as in the case of Negro folklore and folk music and jazz becomes nationally current and representative52.

Une telle définition semble offrir une illustration exemplaire des apories du « métissage culturel »  dont l’anthropologue Jean-Loup Amselle s’est d’abord fait le promoteur, puis l’acerbe critique53. Selon lui, les théories du métissage ou de l’hybridation indexent en effet la culture sur un modèle biologique, et elles postulent ainsi l’existence d’isolats culturels qui préexisteraient au mélange, reconduisant alors les travers de la « raison ethnologique » qui distingue, divise et sépare des éléments quand toute culture est en réalité toujours le produit de « syncrétismes originaires »54. Locke n’est assurément pas exempt d’un tel travers substantialiste, même s’il a abondamment souligné, avant Amselle, le caractère composite de toute culture55. Il importe pourtant de prendre en compte et au sérieux la façon dont à l’instar de Du Bois, il a conçu le mélange culturel sur un mode spirituel et comme une transsubstantiation. Ce n’est pas en effet l’image du melting pot mais celle d’un spiritueux – le rhum, né dans le contexte de la traite et de l’esclavage – qui lui vient à l’esprit quand il cherche à décrire l’influence culturelle nègre :

Like rum in the punch, that although far from being the bulk ingredient, still dominates the mixture, the Negro elements have in most instances very typical and dominating flavors, so to speak. [...] The Negro cultural influence, most obvious, too, in music and dance, has a still wider range, – in linguistic influence, in folklore and literary imagery, and in rhythm, the tempo and the emotional overtones of almost any typically Negro version of other cultural art forms56.

Voilà pour moi une manière originale de penser l’interaction et la mutation culturelles : l’image du rhum dans le punch dit bien que l’esprit du don est autre et plus qu’un simple échange. Il ne s’agit pas de donner quelque chose à quelqu’un, mais de se donner dans ce que l’on donne, comme l’a bien montré l’anthropologue Marcel Hénaff57. En somme, un défi généreux mais risqué qui n’attend d’autre réponse qu’une reconnaissance – car à défaut, c’est toujours la violence qui finit par triompher58. Et pour servir de métaphore à la culture, le punch est une subtile analogie du devenir de toute influence réciproque quand elle n’est plus simple mimétisme, mais composition de nouveaux rapports.

Notes de bas de page numériques

1 Voir George Hutchinson, Harlem Renaissance in Black and White, Cambridge [Massachusetts], Harvard University Press, 1995 ; Brent Hayes Edwards, The Practice of Diaspora, Cambridge [Massachusetts], Harvard University Press, 2003 ; Pierre Saint-Arnaud : L’Invention de la sociologie noire aux États-Unis d’Amérique, essai en sociologie de la connaissance scientifique, Paris, Syllepse, 2003 ; Gary Wilder, The French Imperial Nation-State. Negritude and Colonial Humanism between the Two World Wars, Chicago & London, The University of Chicago Press, 2005.
2 Le Talented Tenth désigne la génération des pionniers, ou les premiers Africains-Américains à accéder aux études supérieures et à faire carrière dans l’enseignement ou dans les professions libérales et la politique, le plus souvent après une double formation – dans une université noire puis dans un établissement de la Ivy League (Harvard, Cornell, Chicago), ou bien en Amérique puis en Europe. W.E.B. Du Bois (1868-1963), Carter Godwin Woodson (1875-1950) et Alain Locke (1885-1954) étudient respectivement à Fisk University, au Berea College et à la Philadelphia School of Pedagogy avant de rejoindre l’université d’Harvard pour leurs doctorats d’Histoire (Du Bois, Woodson) ou de Philosophie (Locke). Du Bois et Locke iront par ailleurs étudier en Europe, à l’Université de Berlin et à Oxford. Le mathématicien et sociologue Kelly Miller (1863-1939) se forme à Howard puis à John Hopkins ; James Weldon Johnson (1871-1938) étudie à Atlanta University ; Jessie Redmond Fauset (1882-1961) à Cornell puis à l’Université de Pennsylvanie.
3 Les New Negroes naissent entre 1890 et 1910. Ils font des études de sociologie comme Charles Spurgeon Johnson (1893-1950) ou Franklin Ezra Frazier (1894-1962), d’anthropologie comme Arthur Huff Fauset (1899-1983) ou Zora Neale Hurston (1901-1960), de littérature comme Sterling Brown (1901-1989), Langston Hughes (1902-1967) ou Countee Cullen (1903-1946). Ils étudient aux universités de Chicago (Johnson et Frazier), Philadelphie (Fauset), Columbia (Hughes, Hurston) et Harvard (Brown, Cullen).
4 William James, Le Pragmatisme (1907), Paris, Flammarion, collection « Champs », 2006, p. 116.
5 « Alors il m’est apparu avec une soudaine certitude que j’étais différent des autres ; ou comme eux, peut-être, dans mon cœur, dans ma vie et dans mes désirs, mais coupé de leur monde par un immense voile. [...] Le Noir est [...] né avec un voile, et doué de double vue dans ce monde américain – un monde qui ne lui concède aucune vraie conscience de soi, mais qui, au contraire, ne le laisse s’appréhender qu’à travers la révélation de l’autre monde. C’est une sensation bizarre, cette conscience dédoublée, ce sentiment de constamment se regarder à l’aune d’un monde qui vous considère comme un spectacle, avec un amusement teinté de pitié méprisante. Chacun sent constamment sa nature double – un Américain, un Noir ; deux âmes, deux pensées, deux luttes irréconciliables ; deux idéaux en guerre dans un seul corps noir, que seule sa force inébranlable prévient de la déchirure. L’histoire du Noir américain est l’histoire de cette lutte – de cette aspiration à être un homme conscient de lui-même, de cette volonté de fondre son moi double en un seul moi meilleur et plus vrai » (William Du Bois, The Souls of Black Folk (1903), Ontario (Canada), Dover Publications, 1994, pp. 2-3. ; Les Âmes du Peuple Noir, traduction française de Magali Bessone, Paris, Editions Rue d’Ulm, 2004, pp. 10-11).
6 « Chez certaines personnes, du moins, la totalité de la conscience peut être divisée en parties qui coexistent, mais qui s’ignorent mutuellement et qui se partagent les objets du savoir entre elles et – chose plus remarquable encore – qui sont complémentaires » (William James, « The Hidden Self » [1890], in William James, Essays in Psychology, Cambridge, Massachussetts, Harvard University Press, 1983, p. 261 – je traduis).
7 Georg Simmel, « Le Problème de la Sociologie » (1894), dans Sociologie, études sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, 1999, pp. 69-70. Cet essai de Simmel fut traduit de l’allemand et publié aux Etats-Unis en 1895 dans Annals of the American Academy of political and social science 6, pp. 412-423.
8 Voir Anthony Mangeon, Lumières Noires, Discours Marron : indiscipline et transformations du savoir chez les écrivains noirs américains et africains ; itinéraires croisés d’Alain LeRoy Locke, V.Y. Mudimbe, et de leurs contemporains, Thèse de Lettres Modernes, Université de Cergy Pontoise, 2004 (consultable à l’URL suivante : http://biblioweb.u-cergy.fr/theses/05CERG0237.pdf ; cons. le 9 mars 2009) ; « Une question de tempérament : l’in(ter)discipline des penseurs africains-américains », dans « La fin des disciplines ? », pp. 59-75 dans Labyrinthe, atelier interdisciplinaire, n°27, juin 2007 ou la version anglaise, téléchargeable à l’URL suivante : http://www.einaudi.cornell.edu/french_studies/publications/search.asp?pubid=3889 (cons. le 19 décembre 2008).
9 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Kafka : Pour une littérature mineure, Paris, Editions de Minuit, 1975.
10 J’ai ainsi pu souligner, dans ma thèse, combien la réflexion philosophique d’Alain Locke préparait celle de Jean-Paul Sartre, dans son Esquisse d’une théorie des émotions (1938), et quelles influences concrètes on lui pouvait créditer sur la pensée des anthropologues Melville Herskovits et Michel Leiris.
11 Alain Locke « Enter the New Negro », The New Negro (1925), New York, Simon et Schuster Inc., 1997, p. 3.
12 « Pour qui veut étudier l’histoire sociale du Nègre en Amérique, je doute qu’il existe meilleure source que le reflet naïf des attitudes sociales américaines et de leurs transformations dans la littérature. [...] En tenant compte des généralisations dont la littérature garde l’empreinte, on peut dire que la vie nègre a parcouru une gamme de sept notes – l’héroïsme, le sentimentalisme, le mélodrame, la comédie, la farce, la polémique, et l’intérêt esthétique – et que dans ces tournants successifs, l’étrangeté, la familiarité domestique, la controverse morale, la commisération, la haine, l’étonnement et la curiosité ont dominé l’esprit du public. Naturellement, ces diverses attitudes n’ont guère favorisé un art du portrait qui, de quelque manière que ce soit, s’approcherait d’une restitution adéquate ou seulement artistique ; le Nègre s’est trouvé transporté d’un stéréotype à l’autre, et sur ce plan il a plus souffert que toute autre classe assujettie, dont la servitude particulière m’a toujours semblé résider dans le fait de se voir dicter par d’autres ses propres traits psychologiques. Bien sûr, le Nègre s’est avéré, sur le plan social, un caméléon particulièrement doué, et il a pris une teinte protectrice chaque fois qu’un changement s’opérait, – c’est là le secret de son exceptionnelle survie. Mais cela eut évidemment un prix : après plus de trois siècles de résidence et d’association, le Nègre reste en Amérique tout aussi méconnu et incompris des autres que de lui-même. À présent que nous atteignons, pour la première fois, les conditions d’un art véridique du portrait ou de l’autoportrait, il est d’autant plus intéressant de reprendre, rétrospectivement, celles qui ont fait du Nègre tour à tour un inquiétant primitif, un animal domestique, un problème moral, un pupille, un bouc émissaire, un épouvantail et un paria, et finalement ce qu’il fut tout ce temps (si seulement on avait pu le voir ainsi), un être de chair et de sang, avec toutes les qualités et tous les travers de la nature humaine, sans qu’aucun de ses attributs si variables ne lui soit propre et exclusif. [...] Il a ainsi constamment et dramatiquement incarné deux projections contradictoires de la psychologie des blancs : d’abord un besoin, chez le blanc, d’auto-justification, qu’il fût négrophobe ou négrophile ; et ensuite, en un subtil filigrane, la volonté de toujours éviter le type social qui précisément soulèverait une embarrassante question pour la conscience de l’époque. On évite, par exemple, la figure de l’esclave noir et rebelle au moment où l’on produit tous les efforts, après la fin de la traite, pour domestiquer le Nègre ; ou bien les types de fiction défaitiste, dans les années 1895-1920, au moment même où le progrès matériel du Nègre connaît brusquement une courbe très nettement ascendante. [...] Ces types d’images  [...] sont, en vérité, bien plus significatives encore en tant qu’expressions d’un « vœu social inconscient ». [...] Sauf quelques cas exceptionnels, la littérature s’est contentée d’enregistrer plutôt qu’elle n’a modelé le sentiment du public sur cette question » (Alain Locke, « American Literary Tradition and The Negro », The Modern Quarterly, n°3, May-July 1926, pp. 215-216 ; traduction française dans Alain Locke : Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques, et autres essais, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 149-151 ; à paraître).
13 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, sur la théorie de l’action (1994), Paris, Seuil, coll. Points, 2002.
14 Homi Bhabha, Les Lieux de la culture (1990), Paris, Payot, 2007. Dans un essai non publié, mais disponible dans ses archives à l’Université d’Howard, Alain Locke assimilera la situation de la minorité africaine-américaine à « an internal colonial status, an ingrowing imperialism based on color caste » (« Peace Between Black and White in the United States », Howard University, Alain Locke Papers, Moorland-Spingarn Research Center, Box 164-123, Folder 19).
15 « The writer of this essay does not consider everything a stereotype that shows up the weaknesses of Negro character ; sometimes the stereotype makes the Negro appear too virtuous. Nor does he believe the stereotypes of contented slaves and buffoons are to be successfully balanced by pictures of Negroes who are unbelievably intellectual, noble, self-sacrificial, and faultless. » (Sterling A. Brown, « Negro Character as Seen by White Authors », The Journal of Negro Education, vol. II, april 1933, p. 180).
16 Les nouvelles de Langston Hughes (The Ways of White Folks, 1934) ou les romans de Richard Wright (Native Son, 1938) et de Ralph Ellison (Invisible Man, 1952) sont à cet égard exemplaires.
17 « Les plus grands obstacles à la paix et à la bonne volonté sociales sont les superstitions obsolètes et les préjugés dépassés qui, de part et d’autre, obscurcissent et pervertissent notre pensée et nos réactions dès qu’il s’agit des relations raciales en Amérique. Mais ces travers ne sauraient perdurer, car leur existence est incompatible avec les lumières qui se répandent dès lors que le Nègre capitalise ce qu’il a de meilleur et devient ainsi mieux connu et mieux apprécié » (Alain Locke, A decade of Negro Self Expression, Charlottesville, Virginia, Trustees of the John F. Slater Fund, 1928, p. 8 ; je traduis).
18 The Bronze Booklets, série de manuels pour l’éducation des adultes dirigés par Locke, et rédigés par lui-même, Brown et d’autres spécialistes de premier rang dans les sciences sociales.
19 Deux anthologies de textes d’Alain Locke ont vu le jour : Jeffrey C. Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983 ; Leonard Harris (ed), The Philosophy of Alain Locke, Harlem Renaissance and Beyond, Philadelphia, Temple University Press, 1989. Certains essais de Sterling Brown ont été réunis par Mark A. Sanders, A Son’s Return, Selected Essays of Sterling A. Brown, Boston, The Northeastern University Press, 1996, XXII-314 p.
20 Moorland-Spingarn Research Center, Université d’Howard, Washington D.C.
21 « La majorité des livres qui traitent des Nègres n’en proposent que des stéréotypes. [...] Pour souligner la prévalence historique de ces stéréotypes, il suffit de considérer les sept plus importants d’entre eux, qu’on peut classer distinctement même s’ils se chevauchent dans le temps. On a ainsi (1) l’esclave bienheureux, (2) le malheureux Noir libre, (3) le Nègre comique, (4) la brute nègre ; (5) le tragique mulâtre, (6) le Nègre couleur locale et (7), le primitif exotique » (Sterling Brown, A Son’s Return, Boston, Northeastern University Press, 1996, p. 151; je traduis).
22 « La case s’est changée en cabaret, mais c’est toujours la même joie au-dedans. » (Sterling Brown, A Son’s Return, Boston, Northeastern University Press, 1996, p. 185 & 187).
23 Sterling Brown, The Negro Caravan, New York, The Dryden Press, 1941, p. 11.
24 « L’auteur nègre est face à deux audiences : le lectorat blanc américain, conditionné par les Page et autres Allen [...] ; et le lectorat nègre, tout aussi conditionné par les personnages dont il raffole dans la presse populaire, mais qui exige en même temps que les écrivains nègres produisent pour lui une image plus flatteuse de la vie nègre  » (Sterling Brown, The Negro Caravan, New York, The Dryden Press, 1941, p. 12 ; je traduis).
25 « L’Amérique noire se doit d’engager ce grand œuvre de la création esthétique, elle se doit de préserver et de mettre au monde la beauté, et nous n’avons pas d’autre choix que d’utiliser pour cela toutes les méthodes dont les hommes se sont servis avant nous. Et quels ont été les outils de l’artiste dans le passé ? Avant toute autre chose, il a utilisé la vérité. [...] L’apôtre de la beauté devient ainsi l’apôtre de la vérité et de la justice, et non par choix mais par compulsion intérieure autant qu’externe. Il est libre, certes, mais dans les limites de la vérité et de la justice.[...] Ainsi tout art est propagande et il ne peut en être autrement, en dépit des récriminations des puristes. Cette position, je la soutiens et je n’en ai pas honte, et je dis que quel que soit mon talent dans l’écriture, je l’ai toujours utilisé à des fins de propagande, pour obtenir avec le peuple noir le droit d’aimer et d’être heureux. Je me moque bien d’un art qui ne serait pas utilisé à des fins de propagande. Ce qui me pose problème, en revanche, c’est quand la propagande demeure d’un seul côté, tandis que l’autre reste nu et silencieux » (Du Bois, « Criteria of Negro Art » (1926), in David Levering Lewis (ed), The Harlem Renaissance Reader, New York, Penguin Books, 1994, pp. 102-103 ; je traduis).
26 « Une psychologie de caste étroite fausse toutes les véritables valeurs artistiques au moyen de valeurs sociales sans rapport avec la question, comme la “représentativité” et la “non-représentativité”, l’image “favorable” ou “défavorable” – et menace ainsi un art authentiquement racial avec une obsession pour la “blancheur immaculée” qui fait office de détergent psychologique » (Alain Locke, « To Certain of Our Philistines », Opportunity 3, May 1925, pp. 155-156 ; je traduis).
27 Pièce du dramaturge américain DuBose Heyward.
28 Roman de l’écrivain africain-américain Rudolph Fisher, publié en 1928.
29 « Quand les portraits faits de nous n’avaient dans l’ensemble d’autre souci que de nous représenter en brutes épaisses ou en chiens dociles à leurs maîtres, nous avons naturellement répliqué à ces images de sous-hommes en nous peignant comme des surhommes. Notre insistance à voir le pendule basculer de l’autre côté était bien naturelle, elle aussi. La vie et les lettres vivent au rythme du pendule. Cependant, aucune des extrémités n’est désirable pour qui aime la vérité.  [...] Il n’y a là nul désaccord avec les partisans de la propagande. La propagande doit être contrée avec de la propagande. Mais laissons là où elle doit se trouver, dans des livres de propagande ouverte, dans nos journaux, [...] dans ce que nous enseignons à notre jeunesse quand nous lui montrons qu’il y a de larges pans de notre héritage racial qui méritent à juste titre notre fierté. Mais même ainsi, l’art doit reposer sur la vérité, et non sur l’exagération. [...] Puisque nous avons besoin de représentations véridiques, n’ajoutons pas tout artiste dont les représentations peuvent nous déplaire, dès lors qu’elles nous concernent, à la longue liste de nos traîtres. [...] En corollaire à la charge qui veut que certains livres “visant à nous représenter” ont manqué leur but, vient l’exigence que nos livres montrent seulement “ce que nous avons de meilleur”. De telles critiques veulent donc une littérature “idéaliste” ; qu’on leur montre ce que nous devrions et ce que nous aimerions être. [...] Il est triste et significatif que ces idéalistes désignent généralement comme “les meilleurs” des Nègres ceux qui appartiennent aux rangs supérieurs de la société, c’est-à-dire ceux qui ont de l’argent. Porgy est donc un livre sans intérêt pour une telle audience, parce que son histoire se déroule dans la Catfish Row, [...] ; The Walls of Jericho, qui parle d’un déménageur de piano, est aussi un livre sans intérêt. Un livre voit sa cote augmenter proportionnellement à la manière dont il traite de notre classe“supérieure”. Si l’on suit cette échelle de valeur, un livre à propos d’un Nègre et d’une mule serait, grâce à la mule, meilleur qu’un livre avec un Nègre sans mule ; mais c’est encore mieux si le Nègre possède un cheval et un boghey plutôt qu’une mule, ou s’il possède une Ford plutôt qu’un boghey, ou une Rolls plutôt qu’une Ford : le livre n’en sera à chaque fois que meilleur [...] Malheureusement, cette hiérarchie économique n’a pas sa place dans la littérature. Elle exclurait d’emblée presque tous les prix Nobel » (Sterling Brown, « Our Literary Audience » (1930), in Sterling Brown, A Son’s Return, Boston, Northeastern University Press, 1996, pp. 142-143 ; je traduis).
30 Sur l’anti-primitivisme de la Renaissance de Harlem, voir George Hutchinson, Harlem Renaissance in Black and White, Cambridge [Massachusetts], Harvard University Press, 1995, p. 16, pp. 182-185, pp. 203-204 et pp. 283-284. Sur la critique du biais propagandiste, voir Locke, « Beauty instead of Ashes » (The Nation 126, April 18, 1928, pp. 432-434), « Art or Propaganda ? » (Harlem 1, November 1928, p. 12).
31 « Celui qui livre une simple apologétique de la minorité, et qui verse dans la surcompensation, le charlatanisme ou la démagogie doit être dénoncé, mais la tranchée en première ligne de la controverse qu’il a laissé devenir un saillant dangereux doit être réoccupée par un effectif plus robuste, et réinvestie avec une stratégie plus sensée. [...] Il est fort regrettable qu’une grande part du racialisme culturel du mouvement “Nouveau Nègre” se soit trouvée littéralement étouffée, dans un sol culturel trop ténu, par la nielle de la flatterie de groupe, de la vanité et de l’escapisme émotionnel. [...] En devenant une vogue, le mouvement prit une teinte de plus en plus exhibitionniste et la démagogie s’immisça en lui. [...] Mais un racialisme culturel plus vigoureux aurait su éviter ces écueils, il aurait visé au réalisme populaire et pour avoir une vue équilibrée selon de meilleurs facteurs, il aurait cherché à découvrir quels dénominateurs sociaux et fondamentalement humains sont à la base de ces numérateurs que constituent les particularités raciales. De mon point de vue, une nouvelle génération d’écrivains et d’artistes nègres sont, avec leurs collaborateurs blancs, en bonne voie de réaliser un tel développement. Parmi eux, Langston Hughes, Zora Neale Hurston, Arna Bontemps, Sterling Brown font la jonction entre les deux générations, tandis que d’autres comme Richard Wright [...] appartiennent entièrement à la nouvelle génération » (Alain Locke, « Jingo, Counter-Jingo and Us », Opportunity, vol. XVI, n°1, January 1938, pp. 8-9 ; je traduis).
32 Gregory Bateson, « Contact Culturel et Schismogenèse » (1935), in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995. Le concept de schismogenèse était également au cœur de la monographie de Bateson, La Cérémonie du Naven (1936), Paris, Editions de Minuit, 1977, 311 p. Locke n’a à ma connaissance jamais explicitement cité Bateson, mais les deux hommes se connaissaient, comme en témoigne la lettre adressée par Bateson à Locke, en date du 25 février 1941, qui discute un mémorandum sur la situation des Noirs Américains que Locke avait rédigé pour le Council for Democracy (Moorland-Spingarn research Center, Howard University, Alain Locke Papers, box 154-13/19). En septembre de la même année, Locke et Bateson participèrent également au second « Symposium sur la Science, la Religion et la Philosophie » organisé à New York par le théologien juif Louis Finkelstein et l’écrivain américain Lyman Bryson, aux côtés d’intellectuels américains et européens comme Franz Boas, Margaret Mead (alors mariée à Bateson), Albert Einstein et Jacques Maritain. Locke présidait même la session où Bateson délivra sa communication « Planification sociale et concept d’apprentissage secondaire », comme le notent ses biographes Leonard Harris et Charles Molesworth (Alain Locke, the Biography of a Philosopher, London & Chicago, Chicago University Press, 2008, p. 340).
33 Gregory Bateson, « Bali : le Système de valeurs d’un état stable », in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, p. 151. Un peu plus haut, Bateson soulignait notamment que « la schismogenèse et les séquences cumulatives d’interaction qui conduisent à l’amour sont souvent équivalentes sur le plan psychologique », puisqu’il s’agit de processus dont « les courbes d’intensité à croissance exponentielle ne sont pas limitées que par des facteurs comme la fatigue ; nous devrions plutôt nous attendre à ce que les courbes soient ici limitées par des phénomènes comparables à l’orgasme : l’atteinte d’un certain degré d’excitation ou d’intensité, corporelle ou nerveuse, étant suivie d’une décharge de tension schismogénétique » (pp. 147-148).
34 Gregory Bateson, « Contact Culturel et Schismogenèse », in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, pp. 98-99 ; « Bali : le Système de valeurs d’un état stable », dans Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, p. 145.
35 « The one great flaw of the first decade of the Negro Renaissance was its exhibitionist flair. It should have addressed itself more to the people themselves and less to the gallery of faddist negrophiles. The task confronting the present younger generation of Negro writers and artists is to approach the home scene and the folk with high seriousness, deep loyalty, and [...] to purge this flippant exhibitionism. » (Alain Locke, « Spiritual Truancy », New Challenge, 2, Fall 1937, p. 85).
36 « A minority group, irrespective of size or constituency, is thus best characterized as a social group whose solidarity is primarily determined by external pressure, which forces it to live in terms of opposition and ostracism. [...] Minority and majority attitudes are intimately connected, so that the minority profile is more or less the complement of the majority profile. [...] Issues may turn out to be dormant merely, with fresh outbreaks of rivalry and hostility. [...] In spite of all of the pull and counter-tensions of conformity and non-conformist reactions, the average minority group manages somehow to adjust its life to the imposed social handicaps and paradoxes. In many cases, they adopt conformity for advantage and recognition, while building, on the other hand, their separate tradition for compensation to enhance minority morale and solidarity » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, pp. 465-469 – je souligne) ; « Under the surface of a seemingly passive accommodation, resentment and a potentially aggressive protest can be in process of formation. [...] The typical traditional attitudes of acquiescence and subservience are deceptively assumed by quite a few, and while caste etiquette is deferred to, it is done so with increasing reservations. [...] Blocked in political behavior and overt revolt, Negro behavior uses many subterfuges of passive resistance and covert protest, not yet translated openly in the sphere of action, but nevertheless in process of psychological gestation » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, p. 527 – je souligne). L’article « Class and Color » décrit également l’emprisonnement dans les processus schismogénétiques : « Old familiar trilemma of action is also there : subservient and protective conformity, protective separation and cultural counter-assertion protest, revolt and culture fusion. Between the horns of these ancient alternatives, all subject peoples, all outcast castes, all exploited classes have somehow managed to live and pay the costs of living, torn necessarily into deeper factionalisms than the more favored groups, but subject under the same pressures to more disciplining and often more productive experience. Against them, the master groups and classes have exerted pretty much the same mechanisms of oppression, persecution and strategy of dominance » (Alain Locke, « Class and Color, Assimilation and Racialism », p. 3 ; Moorland-Spingarn Research Center, Howard University, Manuscript Division, Alain Locke Papers, Box 164-141, folder 31 – je souligne).
37 Voir Gregory Bateson, « Le “moral” des nations et le caractère national », in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, p. 129 ; où l’anthropologue, pour appuyer ses thèses, cite un ouvrage de John Dollard, Caste and class in a Southern Town, New Haven, Yale University Press, 1937, et tout particulièrement le chapitre XII : “accommodation Attitudes of Negroes” ». Locke avait lui-même fait la recension de ce livre dans « Jingo, Counter Jingo and Us », avant de le mentionner à nouveau dans sa retrospective review intitulée « Dry Fields, Green Pastures » (Opportunity, vol. XVIII, January-February 1940). Pour Bateson, les « modèles complémentaires » étaient caractéristiques « des groupes qui ont souffert d’une insécurité et d’une incertitude prolongées : minorités raciales, régions défavorisées, etc. » (p. 132).
38 « Individuals differ, according to temperament, in the degree of these minority reactions ; with some, positive hatred and aversion for his own group may predominate ; with others, intensified loyalty and externalized projection of the animosity reaction back to the majority » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, p. 468) ; « The difference in Negro attitudes is closely correlated with the age generations » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, p. 527, voir également p. 467) ; « Close observation of racial attitudes and practices reveals variation in these attitudes as between one class and another on both sides of the color line. Although a steady alignment and policy of majority-minority relations has been maintained, this variance of attitude from class to class within the society is a symptom of split motives and interests, and forecasts the possibility of a break in the traditional alignment should group interests among the whites divide sufficiently » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, pp. 235-236). Cette anthologie de textes historiques, anthropologiques et sociologiques fut conçue avec Bernhard Stern, de l’Université de Columbia, mais Locke en rédigea l’introduction et tous les commentaires, en début des chapitres.
39 « More considerable gains have been made without resistance on the artistic and cultural flank, with less progress on the frontal racial alignments of economic and political participation. However, to the extent that artistic and cultural recognition yield status concessions and bolster minority morale, such gains are regarded as favorable, provided they do not prove mere concessions rather than clearances of caste conventions. Prior to the eventual challenge of the primary positions of caste privilege, such cultural salients strengthen minority morale and generate an internal momentum of progressive self-assertion » (Alain Locke, When Peoples Meet, New York, Progressive Education Association, 1942, p. 528).
40 « Il est faux de croire que le maître influence le paysan, mais qu’il ne subit pas son influence en retour » (Alain Locke, « The Negro’s Contribution to American Art and Literature », in Jeffrey C. Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 440) ; « Les vues modernes considèrent en effet l’influence culturelle comme un double processus réciproque qui va non seulement du haut vers le bas de la société, mais également très souvent du bas vers le haut. Si le maître influe sur l’esclave, l’esclave, sous quelques rapports, influe sur le maître » (Locke : Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques, Paris, L’Harmattan, coll. Autrement Mêmes, 2009, p. 32).
41 « The Negro’s Contribution to American Culture », in Jeffrey C. Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 454.
42 « Débarrassez-vous de l’idée que la culture est une propriété par indivis ou un bien exclusif et inaliénable, et confrontez-vous à l’interchangeabilité presque sans limite des biens culturels, ainsi qu’au fait historique et significatif de leur échange plus ou moins constant. [...] Nous entrons dans une nouvelle ère de relations sociales et culturelles une fois que nous faisons table rase de cette fiction et que nous abandonnons cette pratique vicieuse qui consiste à investir, tel un propriétaire, dans diverses formes de cultures en tentant, par-delà l’incommensurable dette que nous avons envers la réciprocité naturelle, d’établir des échanges sur une base inégalitaire et sur des modes exclusives ou agressifs. [...] Pour résumer, le monde moderne exige, dans son progrès, ce qu’on pourrait appeler “le libre-commerce dans la culture”, et une reconnaissance complète du principe de la réciprocité culturelle. Les biens culturels, une fois développés, ne sont plus la propriété exclusive de la race ou du peuple qui leur a donné naissance. Ils appartiennent à tous ceux qui peuvent les utiliser ; et par-dessus tout à ceux qui les peuvent mieux utiliser. Mais cet échange et cette transplantation sans fin des cultures, on ne peut les fabriquer artificiellement ; ils croissent naturellement » (Alain Locke, « The Contribution of Race to Culture » (1930), in Leonard Harris (ed), The Philosophy of Alain Locke, Harlem Renaissance and beyond, Philadelphia, Temple University Press, 1989, p. 203 et p. 206.
43 Voir Marcel Mauss, Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (1924), in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 2003.
44 Gregory Bateson, « Le “moral” des nations et le caractère national », in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, p. 132.
45 Gregory Bateson, « Contact culturel et schismogenèse », in Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, tome I, Paris, Seuil, collection « Points », 1995, p. 103.
46 « Sur une base plus ou moins équilatérale, le contact culturel produit des résultats bien plus équilibrés et constructifs que ceux produits par des contacts unilatéraux tels que les politiques de l’impérialisme européen. [...] L’impérialisme européen a été soutenu, ou plutôt généré par une philosophie officielle particulièrement avantageuse, un tour d’esprit colonial dont le substrat est le sentiment de supériorité culturelle [...]. C’est cette attitude dominante et chronique qui a fait largement obstacle à la réciprocité des échanges culturels entre les peuples européens et non-européens. [...] Les politiques modernes ont fermé cette porte, et n’ont laissé que quelques voies indirectes pour que s’exerce la contre-influence de cultures différentes, essentiellement à travers les brèches ouvertes par la mode, la curiosité exotique ou d’occasionnels mouvements littéraires, artistiques et intellectuels » (Alain Locke, When Peoples Meet, A Study in Race and Culture Contacts, New York, Progressive Education Association, 1942, pp. 36 et 87-88 ; je traduis).
47 « Enlightenment must come when the Negro capitalizes himself at his best, and that best is widely known and appreciated » (Alain Locke, A decade of Negro Self Expression, Charlottesville, Virginia, Trustees of the John F. Slater Fund, 1928, p. 8).
48 Alain Locke, « 1928 : A Retrospective Review » (Opportunity 7, January 1929, pp. 8-11) ; « This Year of Grace : Outstanding Books of the Year in Negro Literature » (Opportunity 9, February 1931, pp. 48-51) ; « We Turn to Prose : A retrospective Review of the Literature of the Negro for 1931 » (Opportunity 10, February 1932, pp. 40-44) ; « Black Truth and Black Beauty : A Retrospective Review of the Literature of the Negro for 1932 » (Opportunity 11, January 1933, pp. 14-18) ; « The Saving Grace of Realism : Retrospective Review of the Negro Literature of 1933 » (Opportunity 12, January 1934, pp. 8-11 et p. 30) ; « The Eleventh Hour of Nordicism : A Retrospective Review of the Negro Literature of 1934 » (Opportunity 13, January and February 1935, pp. 8-12, pp. 46-48 et p. 59) ; « Deep River, Deeper Sea : Retrospective Review of the Literature of the Negro for 1935 » (Opportunity 14, January and February 1936, pp. 6-10 ; pp. 42-43 et p. 61) ; « God Save Reality ! Retrospective Review of the Literature of the Negro for 1936 » (Opportunity 15, January and February 1937, pp. 8-13 et pp. 40-44) ; « Jingo, Counter-Jingo and Us : Retrospective Review of the Literature of the Negro, 1937 » (Opportunity 16, January and February 1938, pp. 7-11, p. 27 et pp. 39-42) ; « The Negro :  “New” or   “Newer” : A Retrospective Review of the Literature of the Negro for 1938 » (Opportunity 17, January and February 1939, pp. 4-10 ; pp. 36-42) ; « Dry Fields and Green Pastures : A Retrospective Review of Negro Literature and Art for 1939 » (Opportunity 18, January and February 1940, pp. 4-10, p. 28 ; pp. 41-46, p. 53) ; « Of Native Sons : Real and Otherwise » (Opportunity 19, January and February 1941, pp. 4-9, pp. 48-52) ; « Who and what is “Negro” ? » (Opportunity 20, February and March 1942, pp. 36-41 ; pp. 83-87) ; « Reason and Race : A Review of the Literature of the Negro for 1946 » (Phylon 8, First Quarter 1947, pp. 17-27) ; « A Critical Retrospect of the Literature of the Negro for 1947 » (Phylon 9, First Quarter 1948, pp. 3-12) ; « Dawn Patrol : A Review of the Literature of the Negro for 1948 » (Phylon 10, First and second Quarters, 1949, pp. 5-14 ; pp. 167-172) ; « Wisdom de Profundis : The Literature of the Negro, 1949 » (Phylon 11, First and Second Quarters 1950, pp. 5-14 ; pp. 171-175) ; « Self-Criticism : The Third Dimension in Culture » (Phylon 11, Fourth Quarter, 1950, pp. 391-394) ; « Inventory at Mid-Century : A Review of the Literature of The Negro for 1950 » (Phylon 12, First and Second Quarters 1951, pp. 5-12 ; pp. 185-190) ; « The High Price of Integration : A Review of the Literature of the Negro for 1951 » (Phylon 13, First Quarter 1952, pp. 7-18) ; « From Native Son to Invisible Man : A Review of the Literature of the Negro for 1952 » (Phylon 14, First Quarter 1953, pp. 34-44). Tous ces textes sont reproduits dans Jeffrey Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, pp. 201-393.
49 « Votre pays ? Mais comment est-il devenu le vôtre ? [...] C’est ici que nous avons déposé nos trois dons et que nous les avons mêlés aux vôtres : le don de l’histoire et du chant — d’une mélodie douce et troublante sur la terre de la cacophonie et de la dysharmonie ; le don de la sueur et des muscles pour faire reculer le désert, conquérir le sol et poser les fondations de ce vaste empire économique deux cents ans plus tôt que vos faible mains auraient été capables de le faire, si elles avaient été seules ; et le troisième, le don de l’esprit. [...] Et le don de notre esprit ne s’est pas fait malgré nous. Nous nous sommes tissés nous-mêmes volontairement dans les mailles et la trame de cette nation. [...] Est-ce que l’Amérique aurait été l’Amérique sans son peuple noir ? » (William Du Bois, The Souls of Black Folk (1903) ; Ontario (Canada), Dover Publications, 1994, p. 163 ; Les Âmes du Peuple Noir, traduction française de Magali Bessone, Paris, Rue d’Ulm, 2004, p. 249).
50 Alain Locke, « The Negro’s Contribution to American Culture » (1939), in Jeffrey Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 452.
51 « C’est ainsi que nous finissons par ne pouvoir découvrir d’autre critère d’un style typiquement ou caractéristiquement “nègre” que la composition et la variation culturelles qui ont fait un “style américain”de ce qui était originellement et historiquement un style anglais et anglo-saxon » (Alain Locke, « The Negro’s Contribution to American Culture » (1939), in Jeffrey Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 452 ; essai traduit par mes soins et publié dans Alain Locke, Le Rôle du Nègre dans la culture des Amériques, Paris, L’Harmattan, coll. Autrement Mêmes, 2009, p. 162).
52 « Ce qui est distinctement nègre, sur le plan culturel, passe souvent par osmose rapide dans la culture générale et, comme ce fut le cas avec le folklore, la musique populaire nègre, et le jazz, cet élément se répand très souvent au point de devenir caractéristique de notre nation tout entière » (Alain Locke, « The Negro’s Contribution to American Culture » (1939), in Jeffrey Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 452 ; essai traduit par mes soins et publié dans Alain Locke, Le Rôle du Nègre dans la culture des Amériques, Paris, L’Harmattan, coll. Autrement Mêmes, 2009, p. 161).
53 Jean-Loup Amselle, Branchements, anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001.
54 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses, Paris, Payot, 1990.
55 Alain Locke, « Each culture must be treated as specific and as highly composite » (« The Concept of Race as Applied to Social Culture » (1924), in Leonard Harris (ed), The Philosophy of Alain Locke, Harlem Renaissance and beyond, Philadelphia, Temple University Press, 1989, p. 194.
56 « À l'instar du rhum qui, dans le punch, est l'élément fondamental sans être pour autant celui qui a le plus de volume, les éléments nègres ont le plus souvent des saveurs très typiques et tout à fait dominantes pour ainsi dire. [...] L’influence culturelle nègre, qui est également la plus évidente dans la musique et la danse, a toutefois une portée plus grande  – dans la langue, le folklore et l’imagerie littéraire, dans le rythme, le tempo, et les accents émotionnels qui caractérisent la version nègre de quelque forme culturelle que ce soit » (Alain Locke, « The Negro’s Contribution to American Culture » (1939), in Jeffrey Stewart (ed), The Critical Temper of Alain Locke, A Selection of His Essays on Art and Culture, Garland Publishing Inc., New York and London, 1983, p. 453 ; essai traduit par mes soins et publié dans Alain Locke, Le Rôle du Nègre dans la culture des Amériques, Paris, L’Harmattan, coll. Autrement Mêmes, 2009, p. 162).
57 Marcel Hénaff, « De la philosophie à l’anthropologie : comment interpréter le don ? », entretien avec Olivier Mongin, Esprit n°282, février 2002, p. 143.
58 « The denial of cultural recognition where it has been earned will sooner or later precipitate the more embarrassing issue of mass recognition on demand. [...] Apart form the injustice and reactionary unwisdom, there is tragic irony and imminent social farce in the acceptance by “White America” of the Negro’s cultural gifts while at the same time withholding cultural recognition. [...] The orthodox social mind on the race issue suffers from the pathetic delusion that it can negate what it denies. It can, I admit, retard, but only at general social or net loss. American opinion must meet the issue and recant its position much in advance of any such general solution. That is why, I believe, the question of cultural recognition must be met and conceded by this present generation. [...] Cultural recognition [...] means the removal of wholesale social proscription and, therefore, the conscious scrapping of the mood and creed of “White Supremacy”. It means an open society instead of a closed ethnic shop. For what ? For making possible free and unbiased contacts between the races on the selective basis of common interests and mutual consent, in contrast with what prevails at present, — dictated relations of inequality based on caste psychology and class exploitation. [...] To be pragmatists rather than sentimentalists in the matter [...] is a complete reversal of the yet prevalent the-Negro-is-all-right-in-his-place philosophy. [...] There is no way of putting a social premium upon a product and at the same time putting a social discount upon its active producers. [...] The man who contributes to culture must fully participate in its best and most stimulating aspects » (Alain Locke, « The High Cost of Prejudice » (1927), in Herbert Aptheker (ed), A documentary History of the Negro People in the United States, volume 3, 1910-1932, Secausus, The Citadel Press, 1973, pp. 554-559).

Pour citer cet article

Anthony Mangeon, « « Like Rum in the Punch » : le New Negro et la culture américaine », paru dans Loxias, Loxias 24, mis en ligne le 23 mars 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2735.

Auteurs

Anthony Mangeon

Maître de conférences à l’Université Paul-Valéry-Montpellier III, Anthony Mangeon enseigne en licence de lettres modernes et en master d’études culturelles. Ses recherches portent sur les rapports entre littérature et savoirs, de préférence dans les domaines africains et africains-américains. Il a publié sur ce sujet plusieurs articles et dirigé un hors série de la revue Riveneuve Continents : « Harlem Heritage, mémoire et renaissance », avec entre autres la participation d’Antoine de Gaudemar, Michel Le Bris, Leonora Miano et Blaise N’Djehoya. Il a également activement contribué au hors série du magazine Le Point sur « La pensée noire » (à paraître, avril 2009) et rééditera prochainement une édition critique des conférences d’Alain Locke en Haïti : Le rôle du Nègre dans la culture des Amériques ([1943], Paris, L’Harmattan, collection « Autrement Mêmes », 2009).