Loxias | Loxias 6 (sept. 2004) Poésie contemporaine: la revue Nu(e) invite pour son 10e anniversaire Bancquart, Meffre, Ritman, Sacré, Vargaftig, Verdier... |  La Revue Nu(e) fête ses dix ans: 1994-2004 

Bernard Vargaftig  : 

Dix ans, disant...

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Mots-clés : revue de poésie

Texte intégral

N'est-ce pas une étrange revue, que celle qui nous rassemble aujourd'hui ?

Étrange, justement, en cela : qu'elle nous rassemble plutôt que nous soyons rassemblés autour d'elle ! C'est bien ce que certains lui reprochent : ne pas être au centre de quelque chose. C'est bien là, surtout, sa première qualité.

Étrange, n'est-ce pas, pour une revue de « poésie » ? Ne sommes-nous pas habitués aux courants, aux mouvements, à l'absolu des principes, à l'intransigeance. Et pour ma part, je suis, ô combien, intransigeant sur certains principes. Vous le savez, il n'y a pas de création littéraire, de création tout court, sans cette inflexibilité, presque aveugle, de soi-même.

Or, voici une revue, qui, de numéro en numéro, permet à l'inflexibilité de l'écrivain qu'elle a invité de s'affirmer tout entière. Étrange pour une revue, qu'elle soit ou non parisienne. Et celle-là ne l'est pas. Étrange, pour nous qui savons qu'une revue témoigne de la littérature vivante avec ses réussites, ses hésitations, ses scories, et donc du temps, ce temps dans lequel lecteurs et auteurs s'inscrivent et qui continue d'une livraison à l'autre, comme on dit en littérature, étrange qu'une revue de poésie soit une revue qui a dix ans, c'est rare depuis toujours, et dont chaque numéro est sans mention de date. Ou alors, très discrètement à l'intérieur. Jamais en couverture.

Et étrange, ne trouvez-vous pas, qu'une revue ait pour nom un adjectif. Il a existé Tel Quel... au masculin. Je connais une revue qui s'appelle Petite, au féminin, je crois qu'elle vit encore... Elles ne sont pas si nombreuses. Il y a Nu(e) étrangement au deux genres. Car, pour moi, même si nu évoque, en même temps, le ciel et la chair et l'intégrité - thème si intime à Pierre Jean Jouve -Nu (e) par la marque évidente du féminin dans le titre, est d'abord un adjectif. Il y a là deux axes qui impriment à cette revue leurs mouvements visibles ici, côte à côte. Ils sont toujours côte à côte dans ce qui est vivant. Et d'abord, le constant souci du féminin, qui fait que même quand les auteurs choisis ne sont pas des femmes, Nu(e) est une revue absolument contemporaine. La quête du féminin, marque de notre temps, n'est-elle pas évidente de Salah Stétié à Jean-Claude Renard ?

L'autre aspect de ce titre est qu'il faut le lire pour le saisir dans sa totalité. La revue en souffre certainement, quand on entend son nom, on n'en a qu'un fragment ou une périphrase trop compliquée pour un nom. Mais le titre montre bien qu'il s'agit d'une revue littéraire. Il faut, en effet, le lire. Il faut le voir puisque ce qui est nu - nous sommes si faibles - invite à regarder ou à se voiler les yeux. Nu(e) est ainsi une revue ouverte à la peinture, au dessin, à la photo,  au visible autant qu'à l'invisible que son nom porte en lui.

M'obliger à lire le titre, m'obliger à m'interroger, comme je viens de le faire, conduit avec force à prendre conscience - n'est-ce pas la vocation de la revue Nu(e)? -  que ce qu'on appelle « la poésie » et ce qu'on appelle « les arts plastiques » sont de la pensée, sont connaissance. Dans Nu(e) la parole des poètes ne saurait être isolée des questions qu'elle pose. Connaissance qui est, par définition, étrange, et davantage encore aujourd'hui, en un temps  où les marchands règnent, et les vendeurs de pacotilles et les abêtisseurs. Comment pourrais-je ne pas la remercier ?

Née il y a dix ans, voilà ce que, pour moi, dit la revue Nu(e) qui, loin d'être une publication dont un nouveau numéro fait souvent oublier ceux qui précèdent, continue, elle, de poète en poète, à dire. Elle a dix ans. Elle est disant.

Pour citer cet article

Bernard Vargaftig, « Dix ans, disant... », paru dans Loxias, Loxias 6 (sept. 2004), mis en ligne le 15 septembre 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=57.

Auteurs

Bernard Vargaftig

Bernard Vargaftig est né en 1934 à Nancy où il vit.