Loxias | 57. Le boulevard, un théâtre à sortir du placard ? | I. Le boulevard, un théâtre à sortir du placard ?
Marie Duret-Pujol :
« La seule règle au théâtre, c’est qu’il faut y aller ». Entretien avec Valérie Mairesse
Index
Mots-clés : actrice , boulevard, comique, jeu
Texte intégral
Entretien réalisé par Marie Duret-Pujol et relu par Valérie Mairesse
1Depuis les années 1970, la comédienne Valérie Mairesse a enchainé les rôles au théâtre, au cinéma et à la télévision. Côté scène, elle joue au café-théâtre avec la bande du Splendid ainsi que dans les pièces de Josiane Balasko (Bunny’s bar, 1981, L'Ex-femme de ma vie, 1988). Elle interprète aussi Pagnol, Labiche, Feydeau, Molière, ou encore Shakespeare. Au cinéma, elle tourne sous la direction de Blier, Varda, Lautner, Oury ou Belvaux. Elle est également animatrice à la radio et à la télévision auprès de Laurent Ruquier. Comédienne populaire, figure du cinéma et du théâtre comiques depuis les années 1970, elle est célèbre pour ses rôles comiques à la scène (Ma tête est malade, Le Splendid, 1975) et à l’écran (Banzaï de Claude Zidi, 1983, Le Coup du parapluie de Gérard Oury, 1980). Nous interrogeons ici son goût pour le jeu afin de saisir son rapport au boulevard et au comique.
2Marie Duret-Pujol : Lorsque vous débutez au café-théâtre, vous interprétez un rôle de jeune fille naïve, ce qui vous suivra ensuite dans d’autres pièces ainsi que dans plusieurs films. Qu’est-ce qui vous a conduit vers ce type de rôle ?
3Valérie Mairesse : Au départ, ce qui m’intéressait ce n’était pas le théâtre mais le cinéma. J’adorais les films de Marilyn Monroe et, petite, je rêvais d’être à sa place. Je me revois à douze ans, en train de l’imiter dans ma salle de bains… Je n’ai pas été tout de suite attirée par la comédie, j’étais attirée par des rôles proches de ceux de Marylin Monroe ; je la trouvais très glamour et, en même temps, très comique. J’ai grandi au Maroc et, quand je suis arrivée à Paris, j’ai pris très peu de cours de théâtre. Je fais partie d’une génération un peu rebelle. Il y a des gens de mon âge qui ont fait le conservatoire mais cela ne m’intéressait pas. Moi je voulais faire du cinéma. Et puis, par le biais du bistrot des cours de théâtre dans lesquels je m’étais quand même inscrite, j’ai rencontré celles et ceux qui sont devenu.e.s la troupe du Splendid. Cette période et les projets qu’on imaginait étaient très excitants car nous avions tout à faire : nous avons construit le théâtre, nous avons écrit les pièces, répété et assuré tout ce qu’il fallait faire pour pouvoir ouvrir le théâtre. J’ai tout appris sur le tas. Côté scène, j’avais toujours Marilyn Monroe en tête. Il se trouve que les rôles qui m’ont été confiés correspondaient à ce que je voulais et qui me plaisait : la ravissante idiote, la jeune fille innocente. J’aime jouer des personnages qui n’intellectualisent pas. À l’époque, pour les femmes, la ravissante idiote c’était souvent dans des comédies.
4Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer Agnès Varda, qui m’a entraînée vers d’autres rôles avec L’une chante, l’autre pas (1977). J’ai aussi tourné avec Andreï Tarkovski dans Le sacrifice (1986). Ce n’est pas ce qu’on a retenu de ma carrière, ça, les gens le savent à peine ; ils retiennent les comédies comme Banzaï de Claude Zidi (1983) et Le coup du parapluie (1980), où je retrouve le rôle de l’ingénue. Je ne renie pas ces films, que j’ai adoré tourner également.
5M.D.-P. : Suite à votre rencontre avec Agnès Varda, vous vous découvrez féministe, ce qui peut paraître étonnant au vu de vos rôles de femmes ingénues. Comment avez-vous vécu les contradictions entre ces représentations de femmes et vos convictions politiques ?
6V. M. : Il y avait la jeune femme qui avait envie de plaire aux hommes, de dire des bêtises plus grosses qu’elle, de profiter de ce corps sexy et, en même temps, un féminisme véritable, porté par un profond respect pour les femmes. Ce n’est pas parce que je trainais en short et qu’on regardait mon cul que mes convictions étaient nulles. Moi à l’époque, je n’avais rien contre un homme qui me disait que j’étais belle tout en regardant mes jambes, à partir du moment où c’était fait avec bienveillance. Bon. Passée la cinquantaine, ils ne vous voient plus… En tout cas, cela ne me dérangeait pas. Ce qui est gênant, c’est d’être souillée par des regards d’hommes. Ça c’était très compliqué. On aurait pu me reprocher d’être une allumeuse mais ça m’était égal.
7À chaque fois que je joue quelque chose, je le fais à fond et je ne me demande pas si c’est féministe ou pas. Je suis une femme et pour moi c’est normal d’être féministe. Je me respecte, je veux qu’on me respecte, qu’on respecte les femmes, qu’elles se promènent en short ou en foulard. Je veux aussi qu’on respecte les hommes mais, quand ils ne sont pas respectables, je prends toujours la défense des femmes. Le seul rôle que j’ai refusé c’était pour un film dans lequel le personnage qui m’était proposé était raciste. Maintenant, je me dis que j’aurais pu le jouer mais je ne réfléchissais pas tellement sur les rôles qu’on me proposait, c’était à l’instinct.
8M.D.-P. : À la fin des années 1970, vous jouez davantage au cinéma qu’au théâtre. Quelles différences faites-vous entre les rôles de vos débuts et ceux qui vous sont proposés dans les années 1980 ?
9V. M. : Quand je faisais du café-théâtre, j’aurais fait n’importe quoi pour qu’on me regarde, pour que les gens viennent m’applaudir. On était une bande, c’était une autre ambiance. Plus tard, lorsqu’on m’a proposé de me retrouver dans une « vraie » pièce de théâtre, j’avais tellement le trac que je m’étais même dit que je ne ferai plus jamais de scène ! J’avais pourtant joué en 1985 dans La femme du boulanger de Marcel Pagnol, mis en scène par Jérôme Savary. Avec lui, nous répétions assez peu avant de jouer et le tout était assez flou. Ce n’est pas la même chose quand on se retrouve au théâtre ou dans des classiques, au sens de pièces qui font maintenant partie de notre patrimoine. Il a fallu que je rencontre Daniel Benoin, venu me voir pour me proposer un rôle dans Le prix Martin d’Eugène Labiche, en 1992, pour retrouver confiance.
10On m’a ensuite proposé des rôles auxquels je n’aurais pas forcément pensé. Par exemple, quand j’ai joué Feu la mère de madame et Mais ne te promène donc pas toute nue de Feydeau, mis en scène par Tilly (2003), au départ je n’étais pas chaude. C’est François Morel qui m’a dit « tu serais une formidable femme de Feydeau ». Labiche et Feydeau me font beaucoup rire quand ils sont bien interprétés. Je les avais vus se faire massacrer dans les cours de théâtre par des gens pas très bons… pourtant, c’est tellement drôle quand on est dans le rythme ! Feydeau est un magicien, c’est extraordinaire ! Quand il a fallu que je joue ce type de pièces, du Labiche, du Feydeau ou du Guitry, je suis un peu retournée faire des ateliers de théâtre pour me donner du courage, pour me sentir bien sur scène. Maintenant je me demande même comment j’ai pu préférer le cinéma, même si j’aime toujours tourner dans des films.
11M.D.-P. : Les formes comiques – café-théâtre, boulevard, vaudeville, comédie – jalonnent toujours votre carrière. Comment l’expliquez-vous ?
12V. M. : J’ai trouvé une explication quand j’ai joué le rôle de la nourrice dans Roméo et Juliette de Shakespeare mis en scène par Nicolas Briançon en 2014. J’ai compris, en jouant ce rôle, pourquoi mon instinct m’avait amenée vers la comédie. Quand j’ai incarné une femme qui perdait sa Juliette tous les soirs, j’ai été très mal. On dit toujours qu’une fois qu’on a retiré le costume, tout rentre dans l’ordre, ce n’est pas vrai, on incarne ! Maintenant c’est bon, j’ai fait un rôle tragique, je retourne à la comédie.
13Le boulevard arrive dans ma carrière lorsque le théâtre prend le pas sur le cinéma. C’est très clair, ceci fait suite à ma première grossesse, en 1986. Je me suis vue proposer moins de rôles au cinéma et davantage pour la scène. Ce n’était pas par choix, c’est arrivé ainsi. Les portes du cinéma se sont un peu refermées tandis que s’ouvraient celles du théâtre.
14Il y a de très bonnes pièces de boulevard comme il y a des pièces épouvantables. En 2011, j’ai joué dans une des comédies de boulevard les plus connues en France : Pouic-Pouic de Jacques Vilfrid, mis en scène par Lionel Astier. La pièce était formidablement bien adaptée. J’ai été très attirée par le personnage. Pouic-Pouic, pour moi, c’est l’histoire d’une femme qui vit avec un mec qui est tout le temps en train de crier et de brailler. Elle est folle de cet homme, qu’elle aime depuis une trentaine d’années et qui s’arrange pour que tout aille bien pour lui. Elle prend tout bien pour être heureuse, il y va de sa survie. Si elle ne prenait pas les choses bien, elle verrait que ce mec est insupportable ! C’est une femme de 50 ans des années 1970. Ce personnage a été interprété au cinéma par Jacqueline Maillan mais je me suis bien gardée de vouloir l’imiter. D’ailleurs, lorsque son ancienne agente est venue voir la pièce, elle m’a dit « quand je vous ai vue, je n’ai absolument pas pensé à Jacqueline Maillan, j’ai pensé à Marilyn Monroe ». Quel magnifique compliment. Moi, je n’avais pas pensé à Marilyn quand j’ai interprété le rôle, mais c’est comme si j’avais un peu de Marilyn en moi.
15La prochaine pièce dans laquelle je vais jouer, en janvier prochain, est également un boulevard, Ça reste entre nous de Brigitte Massiot, mis en scène par Olivier Macé. La pièce met en scène une soirée entre deux couples. Mon personnage : une esthéticienne qui cite énormément ce que disent ses clientes. Je serai face à Michèle Garcia. Ce sera drôle !
16M.D.-P. : Comment préparez-vous vos rôles ?
17V. M. : C’est une question très difficile. Il s’agit d’une cuisine intérieure. À partir du moment où je sais que je vais commencer à répéter, dans les deux mois qui précèdent les répétitions, je me couche avec le script et je m’en imprègne. J’imagine la manière dont je pourrais marcher, faire parler le personnage, j’imagine son phrasé… je peine à l’expliquer. Nous commencerons à répéter la prochaine pièce en novembre. Dès octobre je m’intéresserai au personnage et début janvier, elle sera prête. Je ne regarde pas de films, je ne sélectionne pas mes lectures en fonction des pièces. Je préfère m’approprier le texte et j’essaie vraiment de servir le personnage. Forcément il est ramené à moi puisque c’est mon physique, ma façon de parler, etc., mais j’essaie de devenir le personnage. C’est pourquoi je déteste certaines actrices – ça arrive – qui jouent des femmes un peu gourdasses et qui écrivent sur leur front « attention, moi je suis comédienne et je suis intelligente ». Ça, ça m’exaspère ! Je ne m’autorise jamais d’écarts. Sortir du personnage ne m’amuse pas. J’en sors au salut mais pas pendant le spectacle. D’ailleurs je ne suis pas sûre d’en être capable. Certains acteurs le font et inventent. Moi je suis d’une rigueur implacable : je préfère l’incarnation complète, du début à la fin de la pièce.
18Au tout début des répétitions, on fait des italiennes pour être sûr de bien connaître le texte. Pendant les répétitions, on essaie de trouver des trucs en scène avec le metteur en scène et avec les petits camarades. Je n’aime pas trop analyser ce que je fais sur scène. Le risque est ensuite de se regarder jouer et, ça, ce n’est pas possible ! C’est compliqué de se livrer sur la façon de jouer. Je préfère ne pas trop en savoir pour pouvoir continuer à être naturelle.
19M.D.-P. : Si on suit votre carrière, vous passez tard au seule-en-scène, avec Partie en Grèce (2015).
20V. M. : Quand je l’ai découvert, je voulais absolument jouer ce texte de Willy Russell et j’ai adoré jouer cette pièce. C’est un monologue qui est très drôle. C’est une comédie avec beaucoup d’émotions, qui présente la renaissance d’une femme. Il y avait certains soirs où la salle riait énormément et d’autres où la salle se focalisait sur l’émotion de cette femme. Cette pièce a été adaptée pour le cinéma. Toutefois, je me suis bien rendu compte que le seule-en-scène, plus jamais ! Je ne suis pas faite pour être seule au plateau. J’aime être avec mes petits camarades et qu’on s’éclate à éclater les gens !
21M.D.-P. : Vous avez croisé différents styles de théâtre. Avez-vous senti des manières différentes de jouer ?
22V. M. : Non, la seule règle au théâtre c’est qu’il faut y aller. Et puis cela dépend de votre partenaire. Avec Lionel Astier dans Pouic-Pouic ou encore avec François Morel dans les pièces de Feydeau, ça a été formidable. Dans la prochaine pièce, j’aurai en face de moi j’ai Michèle Garcia, une comédienne que j’admire.
23M.D.-P. : Vous êtes nommée deux fois aux Molières, en 1988 pour La Surprise de l’amour et en 2014 pour Roméo et Juliette, ce qui est une reconnaissance de l’institution et de la profession. Vous dites néanmoins qu’il a été beaucoup plus difficile pour vous de jouer Pouic-Pouic que de jouer la nourrice de Shakespeare.
24V. M. : Bien sûr, c’est beaucoup plus dur de jouer le personnage que je faisais dans Pouic-Pouic que la nourrice de Shakespeare. C’est beaucoup plus dur de faire rire que de faire une crise de nerfs ou de me mettre à pleurer. Si vous me demandez de le faire, je le fais sans problème. Faire rire, vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Si vous ne l’avez pas, vous pouvez vous asseoir dessus. Par contre, jouer une tragédie, si vous travaillez, vous l’avez. Quand vous faites rire, ça a l’air d’être tellement simple ! Quand vous jouez une gourdasse et qu’on vous prend pour une gourdasse, c’est que vous êtes juste. Alors qu’il ne faut surtout pas être une gourdasse pour en jouer une ; et tant pis si les gens confondent, c’est que vous l’avez bien fait. Quand on joue quelqu’un qui n’est pas fin, tu y vas ! De toute façon, pour jouer au théâtre, il faut y aller, il ne faut pas avoir de limites.
25M.D.-P. : Toutes ces formes dites mineures, ce sont des choses auxquelles vous avez été confrontée ?
26V. M. : Oui, j’ai dû me confronter à un certain parisianisme, d’autant plus que j’ai aussi fait de la radio de façon comique. Ces émissions n’étaient pas chics à une époque. J’ai également fait des émissions de télé qui n’étaient pas très chics non plus. Ce que j’aime, c’est m’amuser. Et être payée pour m’amuser, c’est génial. Gagner sa vie en s’amusant, maintenant c’est vraiment ça.
Pour citer cet article
Marie Duret-Pujol, « « La seule règle au théâtre, c’est qu’il faut y aller ». Entretien avec Valérie Mairesse », paru dans Loxias, 57., mis en ligne le 16 juillet 2017, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8711.
Auteurs
Marie Duret-Pujol est MCF d'études théâtrales au sein de l'Université Bordeaux Montaigne. Ses recherches portent sur la comédie et le comique contemporains. Elle a coordonné les revues Le comique théâtral contemporain, dans tous ses états (Registres, n°17, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2015) et Comique et Politique chez les Anciens et les Modernes (Les Cahiers d’Artes n°13, Presses Universitaires de Bordeaux, 2016). Ouvrage à paraître : Coluche président : quand l’andouille joue au candidat (Éditions du Bord de l’eau, Bordeaux, 2017). Elle est l’un des membres fondateurs du RIRH (Réseau Interdisciplinaire de Recherches sur l’Humour). Elle est également dramaturge auprès de différents metteurs en scène.